Récidive : la conférence de consensus contre le "tout-carcéral"
Le jury de consensus sur la prévention de la récidive a visé loin et haut, et sa présidente Françoise Tulkens, une ancienne juge à la Cour européenne des droits de l'homme, a remis, mercredi 20 février, un rapport radical au premier ministre : si le gouvernement mettait en oeuvre la moitié de ses recommandations, la face de la justice pénale en serait changée. Le jury propose d'"engager la justice dans la voie d'un changement réel, sérieux, solide, pour assumer sa responsabilité dans un monde nouveau", et va beaucoup plus loin que ce que pouvaient envisager les socialistes.
Le risque en était assumé : plutôt que mettre en place un groupe de travail, Christiane Taubira, la garde des sceaux, avait installé en septembre 2012 un comité présidé par une magistrate, Nicole Maestracci, qui a à son tour choisi un jury indépendant de vingt personnes d'horizon divers, dont un ancien député UMP, Etienne Pinte.
Ce jury a interrogé en public 27 experts, puis s'est retiré à huis clos, dans une sorte de fiévreuse nuit du 4-août, pour chercher un consensus. Ses recommandations sont un reflet raisonné des débats, qui ont si fort déplus à la hiérarchie judiciaire que les chefs de juridiction ont quitté les auditions, jeudi 14 février, pendant que leur ministre prenait sagement des notes.
LA PEINE DE PROBATION
Le jury considère qu'il dispose "d'éléments fiables pour remettre en cause l'efficacité de la peine de prison en termes de prévention de la récidive". La prison, "la forme la plus évidente et la mieux admise des peines", n'offre à la société "qu'une sécurité provisoire" et ne doit plus être qu'une peine parmi d'autres. Le jury propose de supprimer les peines automatiques comme les peines planchers qui contribuent à remplir les prisons. Il propose surtout de créer une peine de probation "indépendante, et sans lien ni référence avec l'emprisonnement" pour permettre "la réinsertion de la personne condamnée et la protection de la société, ainsi que celle des victimes".
Le tribunal pourrait la prononcer et le juge d'application des peines la définir, après une évaluation du justiciable par un service de probation : un programme individualisé imposerait au condamné "différents modes de réparation" – médiation, réparation du préjudice, travail d'intérêt général –, un suivi – injonction thérapeutique, stage de sensibilisation – en insistant sur les facteurs de réinsertion comme l'accès au logement, à l'emploi, aux soins.
Cette peine se substituerait au sursis simple, et en cas de non-respect, le jury ne souhaite pas une "sanction couperet" : les sorties de la délinquance sont progressives, et "la réitération occasionnelle n'implique pas l'abandon du processus mais en fait au contraire souvent partie". Le non-respect systématique de la probation constituerait cependant un délit, suivi d'un renvoi devant le tribunal.
Cette peine de probation va nécessairement heurter. "Le jury reconnaît que la compréhension et l'acceptation de cette nouvelle peine ne seront pas acquises d'emblée", admet le rapport.
LA DÉPÉNALISATION
Le jury "a choisi comme principe fondamental l'évitement de la prison". Il a réfléchi à la dépénalisation de certains délits, mais n'a pas "de données suffisantes pour faire des propositions". Il suggère de "contraventionaliser" certains contentieux de masse, comme les délits routiers qui constituent un peu moins de la moitié des affaires correctionnelles. Le jury entend sans surprise supprimer la peine et la surveillance de sûreté, qui visent à garder un détenu même après la fin de sa peine. Parce que la rétention, "particulièrement attentatoires aux libertés" est fondée "sur une notion aussi floue" que la dangerosité.
LA RÉCIDIVE
L'emprisonnement est le lot commun des récidivistes, avec des sanctions automatiques et peu de possibilités d'aménagement de peine, constate le rapport. Le jury juge la situation contradictoire, d'autant que toutes les études prouvent que les aménagements de peine sont efficaces contre la récidive. Il ne s'agit pas de mettre dehors les tueurs en série : "le taux de récidive et particulièrement élevé en matière de délits routiers et d'atteintes aux biens, alors que celui concernant les crimes les plus graves est faible". Il ne faut donc pas concevoir une politique publique "en fonction des cas les plus extrêmes" qui sont rares.
LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE
La privation de liberté "reste pour beaucoup une peine nécessaire", indique le rapport, mais les conditions de détention "aggravent au contraire le risque de récidive". Le jury estime qu'il ne faut pas augmenter le parc pénitentiaire mais l'améliorer, ouvrir la prison à l'extérieur et accorder des droits aux détenus.
Il fait "le choix résolu de la libération conditionnelle", qui n'est aujourd'hui "qu'une faveur" accordée à 10 % des sortants. Elle doit être délivrée d'office et "devenir le mode normal de libération des détenus", y compris pour les récidivistes.
Le jury s'oppose encore aux peines de sûreté systématiques pour les condamnations à dix ans de réclusion criminelle.
L'ACCÉS AUX PRESTATIONS SOCIALES
Le rapport insiste sur l'accès des sortants de prison aux dispositifs sociaux. Cette mission pourrait être confiée aux collectivités territoriales, devenues "un acteur central" dans la prévention de la récidive. Des assistantes sociales seraient présentes en prison et les services publics y assurer des permanences. Enfin, il recommande d'aligner les droits des mineurs aux jeunes majeurs, jusqu'à 21 ans, "l'àçge de la majorité ne coïncidant pas nécessairement avec l'àçge de la maturité ".
François Hollande s'est déjà prononcé pour la création d'une peine de probation, mais il lui faudra un certain courage politique pour faire admettre les libérations conditionnelles d'office et la plupart des préconisations du rapport.
Franck Johannès