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Rénover le métier de surveillant pénitentiaire

La Matinale du Monde du lundi 29 janvier 2018 décrit le mouvement social des surveillants pénitentiaires de ces dernières semaines comme « une mobilisation sans précédent ». Dans le même journal, le professeur Jean-Charles Froment, grand connaisseur de la vie syndicale pénitentiaire, répond le 25 janvier à la question du journaliste quant au caractère hors-norme du mouvement en cours : « Quand je remets en perspective les mouvements de ces cinquante dernières années, je ne le trouve pas si hors norme que cela ». Jean-Charles Froment dit juste. Evitant de céder à l’usage immodéré des superlatifs, très à la mode, il est raisonnable de penser que ce mouvement n’a rien d’inhabituel. Il y en eut de bien plus difficiles, qui conduire parfois à ce que de nombreux établissements soient gérés directement par les forces de police pendant de nombreux jours : celui de aout-septembre 1992, après des événements dramatiques ayant fait plusieurs morts et qui s’étira sur un mois et demi avec une période continue de mouvement dur de trois semaines en septembre, celui de 1989 pendant quatre semaines, de presque deux mois en 1994. Et bien d’autres dans les années 2000, moins longs mais parfois très déterminés. Cette période de l’histoire pénitentiaire a commencé en 1982, première fois où a été franchie la barrière du statut spécial, qui ne fait pas qu’interdire le droit de grève mais dit dans son article 80 : « Les fonctionnaires des services extérieurs de l’administration pénitentiaire doivent s’abstenir en public, qu’ils soient ou non en service, de tout acte ou propos de nature à déconsidérer le corps auquel ils appartiennent ou à troubler l’ordre public » et dans son article 86 : « L’autorité investie du pouvoir de nomination peut, sans consulter le conseil de discipline, prononcer toutes sanctions disciplinaires dans le cas d’acte collectif d’indiscipline caractérisée ou de cessation concertée du service, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Statut spécial qui autorise en compensation de ces contraintes des avantages dérogatoires au statut général de la fonction publique : surindicarisation des salaires, départ à la retraite avancé, pour ne citer que les plus importants parmi d’autres. C’est peu dire que depuis toutes ces années ce statut spécial aura régulièrement été mis à mal.

Ces mouvements répondent tous à la même logique principale : à partir d’évènements graves en prison et/ou de désaccords importants avec la Chancellerie, des revendications catégorielles salariales sont mises sur la table et en partie satisfaites, ou non, par le gouvernement. Elles sont souvent argumentées sur une parité avec la police, c’est le cas aujourd’hui pour la revendication d’accès à la catégorie B portée surtout par le CGT et FO. Au-delà du bien-fondé de ces demandes - c’est bien l’un des rôles d’un syndicat que de tenter d’obtenir des avancées catégorielles - il faut s’interroger sur la lancinante demande de reconnaissance de la part des personnels de surveillance, qui se comparent en permanence avec la police. Car il y a bien un problème d’identité professionnel de ce métier.

Depuis les années 80, concomitamment avec le développement des mouvements de protestations modernes, le métier de surveillant parait évoluer dans le discours et la présentation qu’on en fait dans les campagnes de recrutement. On trouve ces définitions sur le site du site du ministère de la Justice :

« Les surveillants prennent en charge les personnes confiées par les autorités judiciaires, en assurent la garde et la surveillance et participent à la mission de réinsertion… Au contact quotidien des personnes détenues, les personnels de surveillance participent à leur réinsertion aux côtés des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et des partenaires. »

Mais dans le même temps, rien ou presque n’a changé dans l’organisation du travail en détention. On a modifié le nom statutaire de « gardien » en « surveillant », mais on aligne toujours les services des agents en succession d’après-midi, matin et nuit et jours de repos, les horaires de vie des établissements semblent immuables, on passe dans la même semaine d’un poste de travail à un autre. Dans ce schéma, déjà globalement le même depuis des dizaines d’années, l’introduction du seul mot insertion dans la définition du métier ne peut qu’apporter peu de changement et surtout créer de l’ambiguïté. Le surveillant est partagé entre des missions de sécurité et de maintien de l’ordre, pouvant aisément s’apparenter à des missions de police, et même s’y substituer comme c’est le cas pour les escortes des détenus vers les tribunaux, et des missions d’insertion qui s’apparente à celles d’un éducateur, ce qui renvoie à deux métiers différents.

La solution ne serait-elle pas de prendre acte clairement de cette dualité ? et d’au lieu de chercher à tout prix à confondre ces deux missions, de proposer une organisation qui y réponde ? Contrôler les accès extérieurs d’une prison, fouiller des cellules et tenir un mirador pour prévenir les risques d’évasion, ce n’est pas la même chose que d’accompagner le détenu dans sa vie quotidienne, en le conseillant. Cette distinction logique est en fait déjà en partie à l’œuvre. A coté de la définition générale du métier se sont développées des équipes spécialisées qui ne font que de la sécurité - les ERIS, les équipes d’escortes judiciaires, et d’autres caractérisées par une participation active aux actions tournées vers la prévention de la récidive - ainsi les surveillants participants aux expériences de modules de respect, ceux affectés en SPIP. Une réflexion sur une autre organisation du travail des personnels de surveillance est posée depuis des années (pour ma part, j’ai participé à la production de réflexions et propositions sur ce thème il y a plus de vingt ans déjà, quand j’occupais des fonctions d’inspecteur pénitentiaire). Cette spécialisation qui reste marginale quantitativement, au vu du nombre d’agents concernés, mais indispensable dans bien des cas qui l’ont imposé dans la pratique, peut devenir la règle centrale, en distinguant ces deux missions de sécurité et de réinsertion, en affectant les personnels sur l’une ou l’autre mais pas les deux à la fois. Il ya plusieurs manières réglementaires pour pour encadrer cela, tout le monde y gagnerait, encore faut-il vouloir y arriver. Il semble que les organisations syndicales y soient majoritairement opposées, s’accrochant à une identification avec la police qui finalement les met à la peine pour construire leur propre identité. Les agents y gagnerait mais aussi le service public pénitentiaire qui peine à s’organiser pour faire du temps de prison un temps où on travaille la socialisation de la personne détenue, part importante de la prévention de la récidive. Ce qui rejoint ce que j’écrivais dans un article paru dans le numéro 135 de la revue Pouvoirs en 2010 :

« La vie en prison doit elle-même être appréhendée comme programme de socialisation, le terme étant compris ici dans son sens premier : être apte à vivre en société, avec les autres et pas contre eux. C’est ce que les Espagnols tentent depuis quelques années avec les « modules de respect ». La prison est un lieu de vie collective, où il s’agit de permettre des prises de responsabilités. C’est ici et maintenant, dans cet espace collectif qu’est la détention, qu’une vie correcte, respectueuse des autres, peut-être expérimentée pour chaque détenu…Considérer la peine de prison principalement comme un lieu de privation de liberté d’aller et venir, et rien d’autre, c’est un leurre. La considérer plutôt comme un espace-temps, où les modalités de contraintes peuvent varier et être adaptées au profil du détenu, doit permettre d’en rénover le fonctionnement, en l’axant sur la finalité de responsabilisation prescrite par la loi pénitentiaire. »
C’est impossible d’y parvenir sans une évolution profonde du métier de surveillant où ses fonctions éducatives seraient renforcées, dans un rôle d’accompagnement de la vie quotidienne en détention, que lui seul peut assurer. Elles ne pourront l’être que si elles sont clairement distinguées des fonctions de sécurité dans une organisation du travail elle aussi profondément rénovée.

Philippe Pottier
Membres de DES Maintenant et réseau

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