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A Mont-de-Marsan, la zonzon mise sur le zen

La prison landaise expérimente depuis un an la libre circulation de détenus volontaires. Résultat : une baisse des violences et une amélioration des relations avec les gardiens.

Le bruit est caractéristique de la vie en prison. Un de ceux qu’un détenu entend toujours des années après sa sortie, quand il repense à sa cellule. Le clac de la porte. Le clac particulier, plus fort, plus métallique, plus sec, qui signifie « fermé pour de bon », verrouillé. Ce son-là, 254 détenus de la prison de Mont-de-Marsan (Landes) ne l’entendent plus. Les portes se poussent simplement, ne résistent pas. Celle de la cellule, celle du couloir, celle de l’étage, celle de la salle de sport, celle qui donne sur le terrain de foot, celle de la bibliothèque, celle qui mène à la promenade… Cela fait beaucoup de portes ouvertes pour une prison. Le centre pénitentiaire expérimente, depuis un an, un régime de liberté accrue pour les détenus en journée. Il reste tout de même une porte fermée : celle pour sortir de l’établissement.

En échange de cette circulation étendue, l’institution demande aux prisonniers de s’engager à respecter une charte de bonne conduite. « Se lever dès le signal sonore du matin [à 7 h 30, ndlr] » est sans doute la contrainte la plus pénible du contrat. « Ranger sa chambre et nettoyer les parties communes », en revanche, a été la clause qui a le plus surpris l’administration : c’est l’un des grands succès de l’expérience. Les « vingt-cinq heures d’activités hebdomadaires obligatoires », quant à elles, ne sont pas toujours scrupuleusement observées, faute surtout de travail et d’ateliers disponibles. La « détention illégale » de shit ou de téléphone portable, par contre, est la première cause de renvoi vers le régime classique. Car les deux systèmes coexistent à Mont-de-Marsan. Si un détenu viole la charte, il rejoint le bâtiment d’en face, celui où toutes les portes font clac.

« Autorité saine »

« Cette coexistence est même une condition de la réussite de l’expérimentation, assure André Varignon, le directeur de la prison, construite en 2008. Si on ne peut pas renvoyer immédiatement le détenu qui a commis un vol, par exemple, vers l’autre bâtiment, il ne se sentira pas tenu de respecter la charte. » André Varignon est allé chercher l’idée des « modules de respect » - la terminologie officielle - en Espagne. De l’autre côté des Pyrénées, le « Módulos de Respeto » a depuis longtemps été étendu à toutes les prisons. « L’objectif premier, c’était de faire baisser la violence, physique et verbale, poursuit le directeur. Les agressions contre les surveillants, mais aussi les bagarres entre les détenus. Et de ce point de vue, c’est incontestablement une réussite. »

Dans la cour, ce mercredi, Cédric, 43 ans, joue à la pétanque. « La belote, c’est dommage, ça ne compte pas dans les vingt-cinq heures. Je joue pas mal à la belote le matin. Mais la pétanque, ça compte. L’infirmerie aussi, allez savoir pourquoi. » Son coéquipier, Hassan, 53 ans, a connu les deux systèmes : « Une fois qu’on a goûté le "Respeto", on ne veut plus vraiment revenir en arrière. Surtout aux beaux jours, où on est bien content de ne pas être limité aux heures de promenade pour sortir. »

Mais ceux pour lesquels la vie a le plus changé sont peut-être les surveillants. Ils étaient 55 volontaires (pour 30 places) à vouloir intégrer le Respeto. Il y a un an, leur guérite à l’étage a été remplacée par un local de distribution de vêtements. Ils ont désormais un seul bureau et sont devenus des « îlotiers » qui vadrouillent dans le bâtiment. « Il y a tellement moins de stress, de menaces, d’insultes, décrit Jean-Marie Vidal, 44 ans, le patron de l’une des deux unités Respeto. Notre travail a complètement changé. On vient nous voir pour nous demander des conseils, pas pour ouvrir une porte. » Leur rôle de porte-clés « bête et méchant », selon André Varignon, a été remplacé par « une fonction d’accompagnement ». « Il y a de la confiance qui peut se créer, ajoute Philippe Jean, 39 ans, le second de Jean-Marie Vidal. Ce qui était impensable auparavant. Par exemple, dans mon Respeto, je donne des cours d’arbitrage : on est en train de mettre en place une formation diplômante. Du coup, on parle de sport, d’expériences vécues, on échange. Et c’est ce genre de petites choses qui créent du lien. Le lendemain, le gars, il va te recroiser et il ne verra pas qu’un maton. »

Une brèche dans les principes de soumission et d’obéissance qui régissent habituellement l’univers carcéral ? Pas si vite. « Le Respeto, ça ne veut pas dire moins d’autorité. On est avant tout des surveillants de prison, on veille à la discipline, rappelle Jean-Marie Vidal. Mais là, c’est une autorité saine, elle repose sur un engagement pris de la part des détenus. On peut faire appel à ce contrat moral. Ils deviennent plus autonomes. »

« Début de réinsertion »

L’expérience de Mont-de-Marsan est une première en France. Ou presque. La prison à ciel ouvert de Casabianda, sur le littoral corse, accueille déjà depuis plus de trente ans des délinquants sexuels. Le centre de détention landais, lui, ne trie pas ses détenus en fonction de la condamnation. Son bilan a été jugé positif. La direction de l’administration pénitentiaire demande que le Respeto soit désormais étendu à deux prisons par région. « Ce n’est peut-être pas possible partout, analyse Florence Delaunay, députée (PS) des Landes et membre du comité d’évaluation du centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan. Dans les prisons surpeuplées, ça risque d’être difficile. Et puis il faut absolument que le personnel soit volontaire. Mais le dispositif fonctionne. Respecter les détenus en tant qu’hommes, c’est le principal, c’est déjà le début de la réinsertion. »

Dans la cour de promenade ensoleillée - où le grillage « a été découpé à la tronçonneuse » pour faciliter l’accès au terrain de foot -, le directeur imagine déjà un minipotager pour le printemps. Il délimite avec les bras l’endroit qui verra pousser les légumes. « On en avait parlé il y a quelques années, mais on nous avait regardés avec des yeux ronds, s’amuse Evelyne Barsacq, du Secours catholique. C’était impossible. » « Finalement, le Respeto a eu plein d’effets inattendus, ajoute Françoise Gaube, de l’Association nationale des visiteurs de prison. On renverse la culture de la punition, on amène de la sérénité dans les relations avec l’extérieur. Et puis, avec les activités, les associations peuvent maintenant dépasser le simple stade du parloir. »

A Mont-de-Marsan, 40 % des détenus sont en Respeto. Une commission hebdomadaire examine les nouvelles candidatures. Certains prisonniers sont exclus du dispositif, car jugés trop dangereux. En un an, une centaine de personnes en ont par ailleurs été évincées pour avoir enfreint le règlement. Moins de dix sont retournées de leur plein gré au régime de détention classique. Aucun suicide, aucune agression physique n’a eu lieu en 2015.

Selon la vieille habitude de la carotte et du bâton, l’administration pénitentiaire récompense les détenus du Respeto qui ont œuvré pour la communauté - en offrant un tee-shirt, un mois de télé gratuit, une paire de baskets ou un kit savon-shampoing - et menace d’une sortie du dispositif ceux qui font preuve « d’incivilité ». La naissance d’une prison à deux vitesses ? « Pas du tout, se défend André Varignon. Certains ne veulent pas du Respeto, ils sont mieux là où ils sont. Ce n’est pas d’un côté l’enfer et de l’autre le centre trois étoiles. Un détenu qui veut qu’on le laisse roupiller, personne ne le force à aller en Respeto. Il ne sera pas pénalisé pour autant. »

Dans les longs couloirs verts de l’unité de Mont-de-Marsan, ce mercredi, on entend peu de bruits, et surtout pas un cri. « Un calme vraiment rare en prison, je vous jure », témoigne Françoise Gaube. Comme pour la démentir, deux jeunes en survêtement s’approchent en pouffant. L’un, cheveux coiffés en arrière, tient un grand seau rouge. Il projette visiblement de le renverser sur un grand type au fond du couloir. Celui-là doit sortir demain. Le gars voit venir le canular. Il se jette dans sa cellule et referme sa porte de l’intérieur. Clac. Il porte la clé de sa cellule autour du cou.

Photos Thibaud Moritz
Célian Macé Envoyé spécial à Mont-de-Marsan (Landes)

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