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Comment fonctionne le système des permissions de sortir des détenus

La réaction de Christiane Taubira aura été immédiate. Le mardi 6 octobre, lendemain de la fusillade au cours de laquelle un policier de 36 ans a été grièvement blessé à l’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) par un détenu qui n’avait pas réintégré sa prison à l’issue d’une permission, la garde des sceaux a annoncé aux députés sa volonté « d’améliorer » les textes de loi sur les permissions de sortir de prison, « notamment en imposant une escorte à certains détenus ».

Le tireur impliqué dans la fusillade, tué lors de l’échange de coups de feu, n’avait pas réintégré la prison de Réau (Seine-et-Marne) à la suite d’une permission de sortir accordée le 27 mai. Il devait, lors de cette sortie de quelques heures, se rendre à la mairie pour obtenir des documents nécessaires à une succession, peu après le décès de son père. Multirécidiviste, le jeune homme de 24 ans venait, au moment de la fusillade, de braquer un entrepôt de bijoux, situé à Saint-Ouen.

Le député (Les Républicains) Eric Ciotti s’est « indigné », dans un communiqué, de la permission accordée au détenu en se demandant comment il était possible d’« envisager, de manière consciente et responsable d’accorder une mise en liberté temporaire à un multirécidiviste ». Le secrétaire général adjoint du syndicat Unité SGP Police-FO, Nicolas Comte, a, lui aussi, posé cette question sur le plateau d’RMC, le mardi 6 octobre.

Tous deux remettent en cause la procédure d’autorisation de la permission de sortir. Le premier ministre, Manuel Valls, a reconnu la nécessité de « revoir la législation » sur la question, donnant ainsi son aval à la réflexion engagée par la garde des sceaux.

Qu’est ce qu’une permission de sortir ?

Il s’agit la possibilité, pour une personne condamnée et purgeant une peine de prison ferme, de « s’absenter d’un établissement pénitentiaire pendant une période de temps déterminée ». Les motifs de cette sortie sont multiples : présentation à un employeur ou à un examen dans un objectif de réinsertion, membre de la famille proche gravement malade ou décédé…

De nombreux détenus ne sont cependant pas autorisés à formuler une telle demande de permission de sortir. C’est le cas des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité n’étant pas impliquées dans une procédure de libération conditionnelle. De plus, une expertise psychiatrique est demandée avant tout accord de sortie pour les auteurs de crimes, d’atteintes volontaires à la vie, ou de délits d’agressions sexuelles par exemple.

Le temps de sortie accordé (la période passée en dehors de la prison est déduite de la peine attribuée) n’est pas encadré par le code de procédure pénale, et peut varier de quelques heures – comme pour le tireur de l’Ile-Saint-Denis – à plusieurs jours, lors, par exemple, d’un dispositif de maintien des liens familiaux.

Qui décide d’accorder une permission ?

Eric Ciotti a dénoncé, à la suite de la fusillade de lundi, les décisions prises « dans le secret d’un cabinet de juge d’application des peines ». C’est bien le magistrat du tribunal de grande instance qui décide de l’attribution des permissions, mais il ne le fait jamais seul. Il est accompagné dans cette mission par la commission de l’application des peines (CAP), qu’il préside, constituée d’un représentant du procureur de la république, ainsi que du directeur de l’établissement pénitentiaire, de travailleurs sociaux et de surveillants pénitentiaires.

Le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) donne également son avis à travers cette commission. Son directeur peut, dans certaines situations, prendre la décision d’une autorisation de permission. Le temps de sortie accordé est défini par le juge d’application des peines (JAP).

Quelle est l’évolution du nombre de permissions ?

Régulièrement taxée de laxisme quant à sa politique pénale, notamment concernant la baisse de la population carcérale en France, l’orientation choisie par Christiane Taubira n’a pas changé en profondeur les statistiques des permissions de sortir.

Leur nombre est même en baisse : en 2014, 48 481 permissions ont été accordées, soit près de 14 000 de moins qu’en 2009, sous la tutelle de Michèle Alliot-Marie, alors garde des sceaux.

Parallèlement, le taux d’évasion lors d’une sortie reste faible – 0,5 % en moyenne depuis 2007 – et est resté sous la barre des 300 évasions en 2013.

Graphiques sur le site du Monde :
 Permissions de sortir accordées en France depuis 2007
 Nombre d’évasions suite à une permission de sortir
 Taux d’évasion suite à une permission de sortir

Est-il possible de systématiser l’escorte judiciaire ?

En annonçant l’évolution possible de la législation autour des permissions de sortir, Mme Taubira a évoqué l’idée « d’imposer systématiquement une escorte pour certains détenus, y compris pour ces motifs de maladie grave ou de formalité administrative suite à un décès ».

Dans un communiqué, le syndicat des cadres de la sécurité intérieur (SCSI-CFDT) se demande « comment l’administration pénitentiaire va-t-elle pouvoir assurer cette nouvelle mission ? » Depuis 2010, l’ensemble des escortes doit être assuré par des officiers pénitentiaires.

Auparavant attribuée aux policiers et gendarmes, la responsabilité est progressivement transférée à l’administration pénitentiaire. Un passage de témoin que les parlementaires jugent « plus difficile que prévu ». Selon le SCSI-CFDT, « policiers et gendarmes assurent toujours la majorité des transferts de détenus ».

Que se passerait-il si les escortes – aujourd’hui peu fréquentes – des détenus en permission devenaient obligatoires ? « Les policiers devront jouer les nounous », répond le syndicat. Le projet ne semble « absolument pas réalisable en l’état des effectifs », selon Béatrice Brugère, secrétaire générale de FO-Magistrats, interrogée par BFMTV.

Malgré un nombre de permissions en baisse, et la nécessité pour de nombreux prévenus de sortir ponctuellement de prison – notamment pour envisager une réinsertion – l’escorte systématique est loin de faire l’unanimité dans le monde judiciaire.

Le député (PS) et ancien directeur de prison Joaquim Pueyo propose une solution soulevée par de nombreux magistrats et membres de l’administration pénitentiaire : « le développement de la vidéoconférence », qui pourrait éviter les sorties les plus brèves, souvent justifiées par des démarches administratives. Dans ce cas, les escortes ne seraient plus nécessaires : l’administration elle-même se déplacerait en prison.

Simon Auffret
Journaliste au Monde

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