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État des lieux de l’exécution des peines.

Ludovic Fossey est Vice-président au tribunal de grande instance de Créteil en charge de l’application des peines mais il est aussi secrétaire général de l’A.N.J.A.P. (Association nationale des juges d’application des peines).

L’attente entre le rendu des jugements et l’exécution des peines est-elle habituelle ?

J’ai vu des gens attendre deux voire trois ans alors qu’ils n’avaient que quelques mois de prison à effectuer. Attendre jusqu’au jour où... Dans ce cas là, il y a deux solutions : soit ils sont convoqués au commissariat, soit la police vient les chercher à leur domicile, le plus souvent à 6 heures du matin pour éviter le risque de fuite. C’est assez incroyable l’exécution des peines. Il n’y a aucune visibilité. D’autant plus que lorsque l’on donne un mandat d’arrêt aux personnes pour aller en maison d’arrêt, en général, elles y vont. Les gens préfèrent aller faire leur peine en connaissant leur date d’incarcération et en étant préparé, plutôt que de voir un beau matin la police débarquer et leur passer les bracelets. Plutôt que de partir comme des voleurs en somme, sans mauvais jeu de mots.

Les condamnés ne sont jamais prévenus de leur date d’incarcération ?

Non, c’est complètement fou mais il n’y a aucune visibilité. J’ai vu des affaires durant lesquelles des gens débarquaient ici en me disant : « je ne comprends pas j’ai été condamné il y a deux ans, j’ai trois mois de prison à faire personne ne me dit rien ». Les gens sont en détresse. Dans ces cas là, on essaie d’entrer en contact avec le parquet en charge du dossier, mais ce n’est pas du tout notre travail.

La logique voudrait que les peines soient exécutées dans des délais raisonnables. Si toutes les peines étaient exécutées ne serait-ce que dans l’année qui suit le procès, ce serait un saut en avant prodigieux. Si elles ne le sont pas, c’est uniquement parce que les greffes d’exécution des peines comme les nôtres d’ailleurs sont dans une situation catastrophique en terme de moyens. Ce qui est fou c’est que l’on juge sans assurer derrière.

Il y a des situations chaotiques, dans lesquelles des personnes ont plusieurs peines à effectuer qui tombent à des mois voir des années d’intervalle. Les gens sont interpellés, incarcérés, ils font leurs peines, ils ressortent et puis 6 mois plus tard on les ré-interpelle parce qu’il y a une autre peine à exécuter.

A quoi cela est-il dû ?

Il n’y a pas de fichier national de l’exécution des peines. Cela veut dire que chaque parquet, dans son coin, met à exécution ses propres peines. Il n’y a aucune centralisation. Les d’informations ne circulent entre les parquets, même lorsqu’il s’agit d’une seule et même personne. Il n’est pas rare que des détenus nous écrivent pour que l’on fasse tomber leurs peines en même temps. C’est souvent très difficile à réaliser d’ailleurs, car le juge d’exécution des peines est complètement débordé.

Quels liens unissent les juges d’application et les juges d’exécution des peines ?

Cela n’a rien à voir. Le juge d’exécution des peines c’est le procureur. Il est chargé de mettre à exécution des peines de prison. Nous, à l’application des peines, nous nous chargeons de l’individualisation et du suivi, en statuant notamment sur les réaménagements de peine. Ces deux services sont totalement différents.

A l’exécution des peines par exemple, ils ne travaillent pas directement avec le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation). Par contre ils travaillent avec les forces de police. Ils peuvent adresser l’extrait de condamnation au commissariat de la ville où habite le condamné. Après ce n’est pas toujours aussi simple. Dans le cas où la personne déménage par exemple, le commissariat retourne le dossier au procureur ; généralement, le parquet ne fait pas plus de recherches que ça et attend que la personne soit interpellée. Si la personne est calme elle n’est pas prête de voir sa peine mise à exécution.

Cela veut-il dire que les personnes en attente de l’exécution de leur peine ont le droit que quitter leur domicile ? De déménager ?

Oui évidemment, le parquet ne fait pas de recherches. Comme beaucoup de temps se passe entre la condamnation et la mise en place de l’exécution, les gens déménagent, légitimement car il n’y a pas de suivi. Il y a des situations délirantes ! J’ai reçu une fois ici un portugais qui vivait en France. Il était alcoolique et avait eu plusieurs condamnations pour conduite en état d’ivresse. Après avoir exécuté un certain nombre de peines, il est retourné au Portugal. Seulement, il lui manquait une peine à exécuter. Lorsque la police est venue le chercher (il avait déménagé), elle l’a inscrit sur le fichier des personnes recherchées. Et puis un jour, bien longtemps après, l’homme, remarié et réintégré, part en vacances en Grèce en voiture. Arrivé à la frontière française il est contrôlé par les douanes. Interpellé : sa condamnation pour conduite en état d’ivresse datait pourtant cinq ou six ans. Si ce cas s’est réglé avec le procureur et que nous avons réussi à transformer cette peine-ci en amende, la situation reflète tout à fait l’aberration de ce système. A quoi sert une peine si elle est exécutée des années après le jugement ? D’autant que si le délai est long, c’est que les gens ne font plus parler d’eux. Vous imaginez bien que lorsque les personnes jugées continuent à commettre des actes de délinquance, le parquet s’en rend compte et fait mettre à exécution les peines le plus rapidement possible. Mais lorsque les gens se rangent, le processus suit son petit bonhomme de chemin administratif et ils peuvent attendre longtemps pour voir leur peine mise à exécution.

Quel est selon vous le principal problème à régler pour raccourcir le délai de l’exécution des peines ?

La question principale est celle des moyens. Depuis quelques années, la démonstration est éloquente : les directives convergent pour augmenter le nombre d’audiences et de jugements en correctionnel, mais dans le même temps, on ne recrute pas suffisamment d’agents.

Parallèlement, les procédures sont de plus en plus complexes : des lois s’ajoutent, se modifient, se spécifient. Le dossier est donc plus long car plus compliqué. Si l’on compare la taille d’un dossier ou du code pénal entre aujourd’hui et il y a dix ans, c’est sans commune mesure. C’est très compliqué, le législateur, pris entre des objectifs contradictoires, n’a de cesse de complexifier les choses.

Espérez-vous que les choses changent avec la nouvelle majorité ?

Je suis loin d’en être sûr. Ce n’est pas un sujet auquel sont prêts à s’attaquer les parlementaires. Je ne suis pas très optimiste quant à un bouleversement en matière d’application des peines. La solution serait plutôt d’aller vers un mouvement de déflation comme l’ont fait l’Allemagne et le Danemark, sans pour autant mettre leur pays à feu et à sang. Pour cela, il faudrait augmenter le recours à l’aménagement des peines, mais aussi revenir sur le nombre trop élevé d’emprisonnements fermes. La conduite sans permis est un bon exemple. Il y a quelques années, elle était punie d’une contravention ; aujourd’hui, c’est un délit. Des milliers de personnes vont en prison pour avoir conduit sans permis.

Il faudrait aussi revenir sur les peines planchers. Jusque là, il y a eu un engagement (ndlr : pris par la garde des sceaux Christiane Taubira) mais aucun projet de loi. On est donc loin, très loin pour l’instant d’une baisse de la population carcérale. Le sujet ne devient une préoccupation politique que lorsque les maisons d’arrêt flambent.

Charlotte Blaudez

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