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La réforme pénale entre-ouvre les portes de la prison

Décryptage La garde des Sceaux, Christiane Taubira, confirme un tournant à gauche avec la fin des peines planchers, des sorties sèches et l’instauration de peines de probation.

Cette fois-ci, Nicolas Sarkozy semble définitivement remisé au placard. En rendant, vendredi matin, les derniers arbitrages du texte sur la réforme pénale, François Hollande a enfin pris le virage à gauche que beaucoup attendaient de lui sur le plan judiciaire. « Mon seul objectif, a martelé le Président dans un entretien accordé vendredi au Monde, c’est la sécurité de nos concitoyens et l’efficacité de la réponse pénale. » Et au-delà d’une victoire politique de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, sur son rival de l’Intérieur, Manuel Valls (lire ci-contre), ce texte doit d’abord être vu comme un gage de confiance à l’égard d’une magistrature essorée par dix années de brutalité droitière et par un manque vertigineux de moyens.

Seule interrogation à ce jour : la date d’examen du projet de loi au Parlement. Si celle-ci intervient après les municipales de mars 2014, certains aspects de la réforme ne pourraient entrer en vigueur qu’en toute fin de quinquennat…

Les peines planchers supprimées

C’est assurément la mesure emblématique de cette réforme pénale. C’est aussi une promesse de campagne tenue par François Hollande, lui qui s’était lancé, en février 2012 au théâtre Dejazet à Paris, dans une ode vibrante à la suppression des peines planchers. En rendant cet arbitrage, le Président sait pertinemment qu’il ravit les syndicats de magistrats autant qu’il braque ceux de la police. Jusqu’ici, François Hollande avait plutôt donné l’impression de soigner les forces de l’ordre en enterrant le récépissé pour lutter contre les contrôles au faciès. Il opère un fort rééquilibrage. Vendredi, l’Union syndicale des magistrats (majoritaire) et le Syndicat de la magistrature se félicitaient du retour « à l’individualisation de la peine et au libre arbitre des juges ».

Totem du sarkozysme sécuritaire, les peines planchers incarnent en effet à elles seules le clivage gauche-droite sur la réponse à apporter à la récidive. Concrètement, elles instaurent des peines minimales d’emprisonnement en cas de récidive pour les crimes et pour les délits punis d’au moins trois ans de prison. Les uns - la droite - les défendent au nom d’une sévérité qui serait synonyme d’efficacité. Les autres - la gauche - soulignent leur faible impact, notamment sur les grands criminels. Certes, les délits sexuels (exhibition, harcèlement, agression) et les violences volontaires en récidive ont été particulièrement visés par les peines planchers, mais ces infractions étaient déjà les plus lourdement condamnées. « Le casier judiciaire jouant un rôle essentiel dans la détermination de la peine, l’emprisonnement ferme s’appliquait pour 57% des récidivistes contre 11% pour les primo-délinquants », analysait l’avocat général à la Cour de cassation, Jean-Paul Jean (Libération du 7 février).

Dans les faits, 42 596 peines planchers ont été prononcées entre l’entrée en vigueur de la loi en août 2007 et le 1er décembre 2012. Soit un alourdissement sans précédent, qui aurait généré 4 000 années d’emprisonnement supplémentaires par an. Mais avant même leur suppression, les peines planchers avaient du plomb dans l’aile : depuis plus d’un an, les juges s’en passaient deux fois sur trois, en motivant leur choix, comme le leur permet la loi.

La contrainte pénale instaurée

Christiane Taubira y tenait particulièrement. Cette contrainte pénale, appelée aussi peine de probation, s’appliquera aux délits passibles d’un maximum de cinq années d’emprisonnement. Le symbole est fort car pour la première fois en France, une peine peut être prononcée sans qu’il ne soit fait référence à la prison. La probation consiste à exécuter sa peine en milieu ouvert, c’est-à-dire au sein de la société. La garde des Sceaux est convaincue, de très longue date, que la justice doit être plus éducative que punitive. L’été dernier, elle n’avait d’ailleurs pas caché à Libération , son peu de goût pour les centres éducatifs fermés (CEF), conçus pour punir les mineurs âgés de 16 à 18 ans.

Avec l’avènement de la probation, c’est tout un panel de mesures qui pourrait être encouragé : injonction de soins, bracelet électronique ou travail d’intérêt général. En revanche, le texte reste en deçà de la révolution juridique que certains magistrats proches de la gauche espéraient. La chancellerie a, en effet, renoncé à réorganiser l’échelle des peines autour de trois grandes familles : l’amende, la probation et la prison. Finalement, la peine de probation ne fera que s’ajouter à l’éventail des sanctions disponibles. Au risque de devenir un gadget peu utilisé.

L’objectif, évidemment, c’est de lutter contre une surpopulation carcérale endémique : dans la lettre torpillant la réforme de Christiane Taubira, qui a fuité dans le Monde mi-août, le ministre de l’Intérieur indique que l’Hexagone compte 68 500 détenus alors qu’il n’y a que 57 235 places de prison. Soit un taux de remplissage de plus de 119% pour la métropole. En Polynésie, le chiffre atteint le seuil terrible de 328% ! Mais, l’Union syndicale des magistrats ne considère pas la probation comme la panacée : « Cela va, à l’évidence, complexifier encore les procédures. Imaginons qu’une personne en probation enfreigne les règles. Il se peut alors qu’elle soit incarcérée. A ce moment-là, le serpent se mord la queue et le gain en terme de surpopulation carcérale devient caduque », estime Marie-Jane Ody, la secrétaire nationale de l’USM.

La fin des sorties sèches

A l’heure actuelle, près de 78% des détenus sortent de prison sans accompagnement. Ils sont donc victimes de ce que l’administration pénitentiaire appelle « une sortie sèche ». Ces sorties conduisent parfois à la rue et constituent un facteur important de récidive. « Le temps de la prison doit servir à réaliser la faute commise, à punir par un temps passé hors de la société et à travailler à un projet de réinsertion personnalisé et crédible. Relâcher des détenus du jour au lendemain dans le plus parfait dénuement, c’est les renvoyer illico vers la délinquance », explique Milko Paris, président de l’association Ban public.

C’est pourquoi Christiane Taubira envisage, là encore, toute une gamme d’aménagements de peine pour renvoyer progressivement le détenu vers la vie civile. Ainsi, la garde des Sceaux invite à l’examen de la libération aux deux tiers de la peine. Toutefois, elle a tenu à rompre avec l’automaticité de certains sursis, considérée comme « un signal laxiste » et fortement critiquée par Valls. Pour réussir ce pari, il faudra néanmoins embaucher des conseillers d’insertion et de probation. Ayrault en a promis 68 pour 2013 et 300 pour 2014. Cela risque d’être juste.

Par WILLY LE DEVIN

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