Il est 16 h 58 ce lundi de Pàçques. Clément monte les escaliers quatre à quatre pour rejoindre son appartement du 19e arrondissement à Paris. Pas question d'arriver après 17 heures. Pas question non plus d'arriver avant et de laisser filer quelques minutes de "liberté". "Je suis sorti à 13 heures, je reviens à 17 heures, comme m'y autorise les modalités horaires de mon bracelet électronique le week-end", explique le jeune homme de 27 ans.
Après quatre ans et demi de détention et un refus de libération conditionnelle simple, il est aujourd'hui dehors. Un aménagement de peine soumis à plusieurs conditions, dont le placement sous surveillance électronique pendant cinq mois. C'est seulement après que commencera sa période de libération conditionnelle. Depuis un mois et une semaine, il ne peut quitter son domicile la semaine qu'entre 6 heures et 19 heures pour aller travailler et quelques heures le week-end, "le temps de faire quelques courses".
"C'est une mesure probatoire, mais si c'était à refaire, je ne referai pas comme ça. J'ai fait beaucoup d'efforts en détention pour étayer ma demande de libération conditionnelle. J'ai passé mon bac, j'ai commencé des études de droit et puis j'ai monté un dossier solide, sérieux, avec une promesse d'embauche pour la sortie." Mais selon lui, le placement sous surveillance électronique est venu s'ajouter comme une peine supplémentaire. "En restant en prison, j'aurais pu toucher quelques gràçces [remises de peine] et sortir quasiment au même moment en conditionnelle simple."
Amer, il raconte l'illusion de liberté qu'il expérimente depuis quelques semaines. "Le bracelet c'est une vraie peine. C'est pas une demi-peine ni une faveur. En détention, la libération est anticipée comme un moment d'exultation, mais moi je n'ai pas eu le temps de ressentir quoique ce soit." "PORTER LA PRISON EN SOI"
Depuis, il travaille comme manœuvre dans le bàçtiment. A son grand regret, il a dû arrêter ses études de droit commencées en prison faute de temps. Peu après sa sortie, confie-t-il, il a même été jusqu'à envisager un retour en détention. "Il faut lutter contre cette envie qui n'est pas vraiment réfléchie. La prison n'est pas un univers complexe, il y a des repères. Au bout d'un moment, il y a comme une habitude qui se crée. Dehors, c'est différent. Au début, c'est compliqué. Et puis, aujourd'hui, je fais le larbin sur les chantiers. En prison, j'avais un statut."
A plusieurs reprises en effet, Clément a initié des mouvements de détenus pour faire valoir leurs droits. En 2010, avec l'aide de l'Observatoire international des prisons, lui et d'autres détenus ont fait condamner l'Etat français pour les conditions de détention indignes de la maison d'arrêt de Rouen. Une victoire judiciaire qui lui a valu un passage à l'isolement. Durant ses 4 années de détention, Clément a connu neuf prisons. "C'est ce que fait la DAP [Direction de l'administration pénitentiaire] pour casser les groupes et les liens qui se créent entre détenus."
20 km de course, trois à quatre fois par semaine. C'est l'hygiène de vie qu'il s'impose et qui lui permet de supporter les tensions qui peuvent survenir avec sa sœur chez qui il vit, l'impossibilité de sortir le soir, ou plus dur encore, celle de voyager. "Tout ce dont je rêvais pour ma sortie."
"Le bracelet est un dispositif qui permet d'imposer un moule supplémentaire pour guider la vie de la personne. Une vie de travailleur honnête, probe, qui ne sort pas, analyse Clément. C'est une manière insidieuse de faire intérioriser un comportement pour au final porter la prison en soi."
Quant à l'efficacité du dispositif contre la récidive, il doute. "Statistiquement, ce n'est pas l'aménagement de peine le plus efficace", explique-t-il. "Il y a des gens, par exemple, qui en sont équipés et qui dealent. J'ai même entendu qu'il était possible de l'enlever sans le faire sonner", ajoute-t-il, précisant tout de suite : "Mais moi, je ne veux pas m'évader. Je commence à envisager les choses sur le long terme", après le 31 juillet, date de la levée du bracelet. Quitter Paris, reprendre ses études, et pourquoi pas voyager en Russie dont il a appris la langue en prison avec des codétenus.