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Le travail en prison, un boulot comme un autre ?

La question du travail des détenus, soumis à un régime dérogatoire et à une rémunération jugée dérisoire, progresse peu à peu.

Les détenus sont-ils des travailleurs comme les autres ? En France, les avancées se font à tâtons, au fur et à mesure de diverses procédures judiciaires. Ce jeudi, la cour d’appel de Paris a rendu une décision importante, en accordant à une détenue des indemnités en compensation de sa rémunération jugée « dérisoire ». L’affaire a déjà connu plusieurs rebondissements. Elle commence en juillet 2010, quand Marylin Moureau, qui purge une peine de huit ans de prison, commence à travailler comme téléopératrice pour la plate-forme téléphonique MKT Societal. En avril 2011, elle est « déclassée » par l’administration pénitentiaire pour avoir passé des appels personnels pendant son temps de travail.

La jeune femme saisit la justice et, surprise, le conseil des prud’hommes de Paris décide de lui donner gain de cause. La société est déclarée « employeur dans des conditions particulières ». En conséquence, Marylin Moureau doit bénéficier du droit du travail (préavis, indemnité, congés payés...). Saisie du dossier, la cour d’appel de Paris a livré jeudi une décision ambivalente, mais qui, selon un des avocats de la plaignante, pourrait inciter de nombreux détenus, à leur tour, à faire valoir leurs droits.

Que dit la cour d’appel ?

La justice a d’abord infirmé le jugement prononcé en première instance par le conseil des prud’hommes, pour qui la société MKT Societal devait être considérée comme « employeur dans des conditions particulières ». Une petite révolution à l’époque, dans la mesure où la loi pénitentiaire de 2009 n’avait institué qu’un « acte d’engagement » entre le chef d’établissement et la personne détenue, ce qui ne pouvait en aucun cas être assimilé à un « contrat de travail ». La cour d’appel de Paris, elle, a estimé que cet « engagement au travail ne (présentait) pas les critères d’un contrat de travail de droit commun ». Rien d’étonnant en réalité : en juin dernier, le Conseil constitutionnel avait rejeté une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la question du travail en prison, estimant que l’absence de contrat n’était pas contraire à la Constitution.

En revanche, et c’est là le principal succès des défenseurs de Marylin Moureau, la cour d’appel a estimé que « le fait que le travail soit accompli en détention ne saurait justifier à lui seul le montant dérisoire accordé, très inférieur au montant du minimum légal ». Autrement dit : « La cour a jugé que même privé de contrat de travail, un détenu a le droit à une rémunération décente, c’est-à-dire le smic horaire », explique Me Julien Riffaud. La juridiction a accordé à la plaignante 2 358 euros au titre de rappels de salaire. « La cour a suivi notre calcul, précise l’avocat. On demandait l’application de la convention collective du secteur, qui prévoit 9,50 euros bruts de l’heure. » Selon la loi pénitentiaire de 2009, Marylin Moureau aurait dû toucher une rémunération brute représentant 45% du smic horaire. Elle en était en réalité bien loin. « Elle percevait entre 1,60 et 2 euros bruts de l’heure. A raison de 60 heures par mois, ça faisait en gros 90 euros mensuels », détaille Me Riffaud.

Quel impact aura cette décision ?

Marie Crétenot, juriste à l’Observatoire international des prisons (OIP), interprète la décision de la cour d’appel comme une « remise en question du caractère dérogatoire des rémunérations accordées aux détenus ». « Rien n’est soldé dans ce dossier, ajoute-t-elle. De plus en plus de détenus sont prêts à faire valoir leurs droits, et on voit que les juges y sont sensibles. » L’équilibre juridique demeure tout de même précaire. Si elle était saisie, la cour de cassation pourrait provoquer « l’écroulement de la procédure ». La raison ? Récemment, le tribunal des conflits a jugé que le juge judiciaire n’était pas compétent dans ce genre de dossier, et qu’il fallait s’en remettre au juge administratif.

Pour mettre fin à ces procédures « incertaines », soumises au « bon vouloir » de juges plus ou moins sensibles au thème du travail carcéral, Marie Crétenot espère que le législateur modifiera la loi. Même espoir chez Me Julien Riffaud, qui pronostique également une « déferlante de procédures judiciaires de la part des détenus dans les prochains mois ».

Sylvain MOUILLARD

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