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Les « longues peines » : emmurés vivants ?

TRIBUNE

L’histoire de José, relatée par Sonya Faure dans son article « Les magistrats sont effrayés de libérer des hommes supposés ne jamais sortir » (1),relance le débat sur le traitement des longues peines en France. José était détenu depuis trente ans à la centrale de Clairvaux, un établissement réputé pour son régime carcéral drastique qui accueille environ 170 détenus purgeant des longues peines. Ce détenu de 70 ans condamné à perpétuité en 1984, qui avait connu sa première permission au mois de juin est décédé dans la nuit du 9 au 10 août, trois jours avant sa libération dans un « hôpital prison ». Selon son avocate, maître Boesel, la dernière fois qu’elle vit José, ce dernier lui indiqua : « Voilà, ils m’ont eu. Je vais mourir ici, j’aurais fait une vraie perpétuité. »

Anecdotique, l’histoire de José ? Non, celle-ci renvoie notamment à la lettre de ces dix détenus de Clairvaux en 2006, condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, qui réclamèrent le rétablissement de la peine de mort pour eux-mêmes. A l’époque, ils déclarèrent : « Assez d’hypocrisie ! Dès lors qu’on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l’issue de notre peine de sûreté, nous préférons en finir une bonne fois pour toutes que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d’aucun lendemain après plus de vingt années de misères absolues », indiquèrent-ils.

Depuis quelques années, les condamnés en matière criminelle font les frais de mesures législatives tendant à repousser leurs possibilités effectives de sorties. De la mise en place des périodes de sûreté, aux obstacles à la libération conditionnelle, jusqu’aux mesures de sûreté après la peine,la perpétuité réelle n’est-elle pas une réalité dans le contexte français ? Lors de la récente réforme pénale Taubira, les longues peines furent notamment les « grands oubliés », malgré la mise en place de l’examen automatique de la situation du détenu aux deux tiers de la peine. Les détenus « longues peines » à défaut d’être mis à mort sont-ils condamnés à être « emmurés » ad vitam aeternam, éliminés en soi par oblitération au sein de lieux de réclusion ?

Certains de ces détenus longues peines se perçoivent comme des « inutiles au monde », l’absence de visites ajoutées au stigmate d’être jugé de manière permanente face à leur crime ne laisse aucune place à une rédemption possible du sujet. Au sein de l’une de ces « centrales », un détenu m’a témoigné qu’il s’y déroule un mode de vie parallèle plus ou moins violent fait de conflits perpétuels entre codétenus et l’administration pénitentiaire. Ce dernier condamné à perpétuité m’indiquait : « Tu ne peux pas comprendre, c’est un autre monde ici. Cellule, promenade, muscu, repas, boulot, cellule, tout ici peut faire un couteau, tu peux te faire piquer discret dans un couloir, j’ai déjà fait dix établissements. »

Ce détenu me décrivait un monde fait de micro-alliances éphémères, ponctuées de représailles violentes, « un pénitencier digne des States » en pleine campagne. En ces « murs » au fur et à mesure du temps, le régime pénal d’exception au sein des centrales entraîne une « coupure des liens affectifs vitaux » au point que certains d’entre eux n’ayant plus rien à perdre, même pas la vie, sont prêts à tout à la moindre opportunité.

Alors bien entendu, il n’est pas question d’« excuser » un homme coupable d’un acte criminel, mais on est en droit de se demander jusqu’où le régime de perpétuité ne condamne pas ces criminels à un certain « déni d’humanité ». L’échelle du temps infini, la promiscuité, ajoutés pour beaucoup à l’isolement relationnel et/ou aux « camisoles chimiques » fait que nombre de détenus, comme José, se retrouvent au bout de vingt, trente années de détention, amoindris physiquement et moralement ne laissant que peu d’espoir à une réinsertion possible durable.

Pourtant, certains acteurs de manière têtue permettent d’amener quelques « onces d’humanité » au sein de ces « lieux de réclusion perpétuelle ». Je pense aux ateliers d’écriture poétique de Thierry Machuel à la centrale de Clairvaux, au travail du compositeur Philippe Hersant, des créations qui seront notamment restituées durant le festival Ombres et Lumières qui aura lieu à l’abbaye de Clairvaux les 27 et 28 septembre. Mais, je pense, aussi à Anne Bragance, qui interpella, il y a peu, l’équipe de Christiane Taubira sur une pratique au sein de la prison brésilienne de Catanduvas. Au sein de cet établissement, l’administration fournit un livre au début de chaque mois au détenu qui le souhaite. Ce dernier doit en faire un résumé ce qui lui permet d’obtenir quatre jours de remise de peine. L’établissement carcéral constate qu’avec ce système il y a un recul de violences dans l’établissement, mais aussi une prise de conscience des criminels face à leurs crimes ? Christiane Taubira prit cette remarque en compte dans son projet de réforme pénale dont un amendement stipule que tout détenu participant à des activités culturelles, notamment de lectures, pourra bénéficier de réductions supplémentaires de peines.

Malgré ces quelques mesures, force est de constater que depuis plusieurs années en France, l’abolition de la peine de mort semble avoir été remplacée par une législation repoussant la possibilité de sorties effectives des détenus condamnés à des longues peines. Le renforcement du système pénal et pénitentiaire fabrique en conséquence des détenus, qui sans espoir deviennent incontrôlables, voire « hyperdangereux ». Selon un récent sondage Ipsos, 45% des Français souhaiteraient un retour de la peine de mort en France. Il devient donc nécessaire d’étudier les conditions de détentions de ces détenus ne serait-ce pour ne pas uniquement les envisager comme des « restes » au sens d’individus laissés socialement pour compte.

(1) « Libération » des 23 et 24 août.

David PUAUD

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