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Nicole Maestracci : « Les courtes peines sont inefficaces contre la récidive »

Interview La magistrate, par ailleurs nommée au Conseil constitutionnel, conclut cinq mois de travaux sur la prévention de la récidive.

Nicole Maestracci a présidé les travaux de la Conférence de consensus de la prévention de la récidive présentés aujourd’hui et demain, et dans lesquels la garde des Sceaux Christiane Taubira devrait puiser les pistes d’une grande loi pénale. Première présidente de la cour d’appel de Rouen, ancienne juge des enfants, ancienne juge d’application des peines et présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) de 1998 à 2002, la magistrate vient d’être nommée au Conseil constitutionnel par François Hollande. Elle présente à Libération le bilan de quatre mois de brainstorming réunissant magistrats, chercheurs, conseillers de probation, surveillants, élus, associations etc.

La lutte contre la récidive fait l’objet de débats passionnés depuis plusieurs années. Vos débats ont-ils dégagé des pistes ?

Certains constats sont partagés par tous : la justice pénale est devenue illisible alors qu’elle prétend apporter une réponse à toutes les infractions. Les prisons n’ont cessé de se remplir et les peines exécutées en milieu ouvert n’ont cessé d’augmenter également. Quant aux juges et aux services pénitentiaires, ils vivent comme une fatalité leur surcharge de travail et parlent eux aussi d’une perte de sens. Pourtant, nous nous sommes rendu compte qu’il existait plus de données scientifiques sur la récidive, en France ou à l’étranger, qu’on ne le pensait. En les mettant à disposition de tous, nous espérons que désormais le législateur en tiendra compte avant de voter de nouvelles lois… Ainsi, toutes les lois récentes sont fondées sur le présupposé selon lequel plus la répression est sévère, plus la récidive est limitée. Or, aucune des études scientifiques disponibles n’établit de lien entre la sévérité de la peine et le risque de rechute. C’est plutôt le contenu de la sanction qui a un impact, c’est-à-dire la manière dont la personne est encadrée et accompagnée pour exécuter sa peine. Deuxième exemple : contrairement à ce qu’on imagine souvent, car les médias rendent davantage compte de la récidive des criminels, ces derniers sont ceux qui récidivent le moins.

Mais se dégage-t-il un large accord sur des mesures concrètes ?

A un instant, 81% des personnes écrouées l’ont été pour une durée de moins d’un an. Un temps trop court pour mettre en place un programme favorisant la réinsertion. Ces courtes peines sont considérées comme inefficaces contre la récidive à la quasi-unanimité des experts que nous avons entendus... Même s’ils divergent sur les mesures à prendre : faut-il, comme en Allemagne, limiter la possibilité du juge de prononcer des courtes peines ? Quelles autres sanctions seraient efficaces et crédibles ? Tous ceux que nous avons entendus pensent que la justice pénale est trop sollicitée, et qu’elle ne peut pas répondre à tout : il est donc suggéré de dépénaliser, contraventionnaliser, ou carrément déjudiciariser certaines infractions. Mais lesquelles ? Le cas de l’usage de stupéfiants est évidemment une question sensible. Celui des infractions routières, qui représentent 48% du contentieux pénal, aussi. On peut néanmoins se poser la question de la plus-value du traitement pénal sur ce contentieux de masse pour lequel l’individualisation est limitée, voire inexistante. Moins polémique : personne n’a semblé s’opposer à la création d’une peine de probation, qui deviendrait la sanction de référence, en milieu ouvert, et s’adapterait à l’évolution du condamné. Mais beaucoup sont sceptiques sur son efficacité si les moyens des personnels de probation ne sont pas augmentés... Enfin, les études sur la désistance (ce qui conduit une personne à abandonner la délinquance) montrent également sur quels leviers on peut agir : l’insertion professionnelle bien sûr, mais également la sortie des addictions, la reconstruction des liens familiaux etc. Dans certains pays, des sortants de prison sont entourés par des citoyens éclairés et bénévoles. Peut-être pourrions nous nous inspirer de ces « cercles de soutien et de responsabilité ».

Y a-t-il eu a contrario des thèmes sur lesquels le consensus n’est pas prêt de se faire ?

Les débats restent vifs sur les méthodes actuarielles d’évaluation du risque de récidive et sur les traitements cognitivo-comportementaux qui sont particulièrement utilisés dans les pays anglo-saxons. Mais ils le sont moins qu’il y a quelques années, les professionnels s’appuyant de plus en plus sur des outils associant plusieurs approches théoriques.

Au delà de l’affichage politique - l’apaisement du monde judiciaire et des questions de délinquance - avez-vous bon espoir que le gouvernement donne suite à des préconisations innovantes ?

Une conférence de consensus sert avant tout à mettre à la disposition d’un public plus large les éléments du débat (1). Pour le reste, j’ai entendu le président de la République dire lors de l’audience de rentrée de la Cour de cassation qu’il suivrait les préconisations du jury. Les professionnels manifestent une grande attente de réforme. Quant à l’opinion publique... elle est à même de comprendre la complexité des choses, elle sait que le risque zéro n’existe pas.

Par SONYA FAURE

(1) Toutes les contributions sont sur le site http://conference-consensus.justice.gouv.fr/

>> http://www.liberation.fr/societe/20...
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