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Prison à perpétuité : nous avons 3 moyens d’évaluer si un détenu est libérable

LE PLUS. La Cour européenne des droits de l’Homme vient de valider le régime des peines de perpétuité incompressibles, que contestait le tueur Pierre Bodein, dit "Pierrot le fou". Cela principalement car, en France, un détenu condamné à perpétuité peut obtenir une liberté conditionnelle après 30 ans de réclusion. Sur quels critères ? Réponse de Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue.

Une personne condamnée à la prison à perpétuité peut, en France, bénéficier d’une liberté conditionnelle après 30 ans de réclusion. Pour être en mesure de prendre une décision, le juge d’application des peines ou la commission s’appuie sur une pluridisciplinarité, soit un ensemble de facteurs qui permettra, ou non, d’autoriser la libération.

Parmi eux, le casier judiciaire, le comportement de la personne tout au long sa détention, l’analyse sociologique de l’endroit où elle va aller à la sortie (pourra-t-elle vivre dans de bonnes conditions ? quelqu’un l’accueillera-t-elle ?), l’étude des proches qui l’accompagnent (ou non), la prise en compte de ses victimes… et enfin, l’analyse de l’homme.

Trois axes pour évaluer si un détenu est libérable

Pour cette dernière évaluation, on sollicite l’avis d’un collègue d’expert. La loi prévoit que ces derniers soient deux pour étudier les cas sérieux, mais il arrive, pour les affaires ayant défrayé la chronique – comme celle de "Pierrot le fou" –, que l’on fasse appel à trois psychiatres. Cela arrive quand il y a eu contradiction dans les expertises, ou si le cas est particulièrement problématique.

Pour conduire cette évaluation, nous nous appuyons principalement sur trois axes : psychiatrique, psychologique et psycho-criminologique.

1. L’évaluation psychiatrique

Dans l’hypothèse où l’on a précisément diagnostiqué des troubles psychiatriques chez le détenu, il faut voir si ces éléments – à défaut de pouvoir les guérir – ont été stabilisés en détention.

2. L’évaluation psychologique

Le regard psychologique consiste à se demander si les traits problématiques de la personnalité ont évolué. Il s’agit majoritairement de tout ce qui tourne autour de l’ego : la mégalomanie, la paranoïa, l’égocentrisme, ou ce que l’on nomme aujourd’hui la "perversion narcissique", mais je préfère pour ma part parler de mégalomanes manipulateurs. On se demandera si ces traits sont plus souples, si l’homme a évolué dans le bon sens.

Deux exemples peuvent montrer une évolution chez un détenu paranoïaque.

1. Il comprend qu’il est paranoïaque.

2. Il est capable de relativiser et de critiquer ses interprétations paranoïaques, en cessant d’accuser les autres et en étant conscient que c’est lui qui créé ce "cinéma intérieur". Autrement dit : est-ce que l’homme se connaît mieux lui-même ?

3. L’évaluation psycho-criminologique

C’est l’axe le plus intéressant, mais également le plus compliqué, qui s’évalue en deux étapes.

La première porte sur le rapport de l’homme avec les faits pour lesquels il a été condamné. Est-ce qu’il est plus clair, lucide, et fait preuve d’une autocritique psychologique et émotionnelle plus importante concernant ses actes passés ?

La deuxième étape consiste à se demander si ce type de comportement (souvent une forme d’homicide), qui lui a valu une longue peine de prison, est susceptible de se reproduire. Y a-t-il, dans sa personnalité, une disposition à recommencer ? Autrement dit, on cherchera à évaluer sa dangerosité criminologique.

C’est là qu’on a besoin d’éléments statistiques. A-t-il, dans son histoire criminelle, des facteurs de risque ? Dans le cas d’une agression sexuelle, par exemple, agresser une victime inconnue ajoute un facteur de risque. On prend en compte les éventuelles répétitions de la transgression, qui sont des clignotants rouge alarmants. On sera moins cléments avec quelqu’un qui a agressé sexuellement trois fois, et été condamné trois fois pour la même chose.

C’est une étude criminologique un peu chirurgicale sur les types d’homicides commis, qui engendrent chacun un facteur de risque différent. Les personnes condamnées pour des atteintes aux biens ne récidivent pas de la même façon que celles en détention pour agression sexuelle. Chaque réalité transgressive a des statistiques pour évaluer le risque de récidive. Par exemple, celui-ci sera de 1% pour les homicides. Et les règlements de comptes sont, en outre, plus récidivants que les crimes passionnels.

Pour l’illustrer, je pense, par exemple, à un grand braqueur qu’on a décidé de placer en maison de retraite. Quelques semaines après, il braquait une banque.

On n’a pas de certitudes, uniquement des probabilités

Nous nous appuyons sur des statistiques, mais n’avons pas de certitudes. Il n’y a pas d’un côté ceux qui récidivent, et ceux qui ne récidivent jamais. En évaluant la dangerosité, on fait ressortir une probabilité. On essaie de donner au décideur le maximum d’informations.

Ensuite, c’est la société, par l’intermédiaire des professionnels qui la représentent, qui prend le risque, ou pas, d’accorder une liberté conditionnelle.

Il est important d’ajouter que la liberté conditionnelle peut être accompagnée de plus ou moins de vigilance.

À leur sortie, certains doivent pointer tous les mois, d’autres sont sous simple injonction de soins, certains sous bracelets électronique… Au fond, la société, en plus de décider de la libération d’un condamné, devra surtout structurer l’accompagnement de sa sortie en fonction du risque.

Par Roland Coutanceau
Psychiatre et criminologue

Propos recueillis par Rozenn Le Carboulec.

Roland Coutanceau est co-auteur de "Violences aux personnes - Comprendre pour prévenir" (Broché, 2014).

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