Les syndicats de policiers ont trouvé leur bouc émissaire idéal avec Christiane Taubira, jugée trop laxiste. Pourtant, les chiffres montrent que les aménagements de peine sont le remède le plus efficace contre la récidive.
Police contre justice. Une guerre vieille comme les deux institutions concernées, et qui rejaillit régulièrement en période de tension, lorsqu'un crime est commis par une personne sous le coup d'une mesure judiciaire (suivi, permission, etc.). L'amalgame fuse : c'est « la faute des juges » si cette personne a dérapé. Le cas du braqueur de Saint-Ouen qui a grièvement blessé un agent de la brigade anticriminalité (BAC) en est une illustration (lire ci-dessous).
Les syndicats policiers et les politiques de droite profitent de l'état d'épuisement des troupes depuis les attentats pour faire le procès des juges, ces « laxistes », et de Christiane Taubira, ministre de la Justice et chef desdits « laxistes ». Une « idéologue » qui « considère que la sanction n'a pas sa place au premier rang de notre dispositif pénal », répète par exemple le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti. Un « angélisme pénal » ?
Selon les derniers communiqués du syndicat de police Alliance (droite, majoritaire), la politique pénale actuelle est non seulement beaucoup trop clémente, mais aussi immorale : « Il est moralement inconcevable qu'on puisse libérer pour une permission un individu aussi dangereux pour la société », tempête ainsi son secrétaire général adjoint, Frédéric Lagache. « L'angélisme pénal que nous dénonçons depuis des années n'est plus adapté face à l'islamo-délinquance », renchérit Patrick Ribeiro, du syndicat Synergie-Officiers.
Dans le viseur de ces discours entre notamment la loi Taubira instaurant la « contrainte pénale », alternative à l'incarcération mise en place il y a un an. Ce dispositif prévoit un suivi « serré », avec nombre d'obligations à respecter (sevrage de l'alcool ou des stupéfiants, travail, indemnisation des victimes), espérant ainsi éloigner les personnes des conditions qui ont conduit à leur délinquance, ce que ne fait pas la prison. S'il est un peu tôt pour évaluer l'efficacité de la mesure, qui donne cependant des signaux positifs sur le terrain (voir Libération du 12 octobre), il faut surtout relativiser son impact et son instrumentalisation par les discours sécuritaires. D'abord, la contrainte pénale ne s'applique qu'aux délits passibles de moins de cinq années de prison. Ensuite, seulement 900 mesures ont été prononcées en un an, au lieu des 8 000 à 20 000 voulues par la chancellerie. Peu de chance, donc, d'imaginer cette mesure à l'origine d'un grand làçcher de dangereux délinquants dans la nature. Trop de permissions de sortie ?
Parmi les 50 000 permissions de sortie accordées chaque année, 99,5 % se déroulent parfaitement bien. Les non-réintégrations ne concernent que 0,5 % des permissions (228 en 2014). En outre, il ne s'agit pas forcément de véritables évasions, comme celle du braqueur de Saint-Ouen, mais souvent de retards, certains détenus se décidant à revenir au bout de quelques jours.
Les juges d'application des peines prononcent finalement peu de permissions de sortie : 0,91 permission, en moyenne, par condamné détenu en 2013, relève l'Observatoire international des prisons (OIP), qui insiste sur le rôle crucial joué par ces rares fenêtres pour la réintégration dans la société : recherche d'un emploi, d'un logement, retrouvailles familiales. Ainsi, la « piste » évoquée par Christiane Taubira, consistant à systématiser les escortes, peut laisser sceptique. Compliqué d'aller rencontrer son futur employeur ou propriétaire si l'on est encadré par trois surveillants ou policiers.
De toute façon, l'idée des escortes ne satisfait absolument pas les syndicats de police, qui la jugent inapplicable au vu de leur manque d'effectifs. « Nous voulons que les délinquants qui sont en prison y restent », martèle Frédéric Lagache, d'Alliance. Trop d'aménagements de peine ?
« D'incohérentes décisions de justice ont permis ces derniers jours à plusieurs présumés coupables, à des personnes violentes et à des criminels de se retrouver en liberté et de commettre de nouveaux crimes et délits », assène le syndicat Unité-police-SGP-FO. Impossible, cependant, d'obtenir le détail concret de ces « incohérentes décisions » et de cette profusion de crimes et délits censée en avoir découlé - mis à part le braqueur de Saint-Ouen.
De fait, si on regarde les chiffres des aménagements de peine sous écrou (bracelet électronique, semi-liberté, placement à l'extérieur), ils ont, au contraire, baissé de 5,2 % entre juillet 2014 et juillet 2015 (de 14 229 personnes à 13 485). Quant au nombre de détenus (66 864 en juillet), s'il décroît tout doucement, sa déflation n'annule même pas la hausse importante des dernières années, et le chiffre reste encore supérieur à celui d'il y a trois ans (66 445 en mars 2012). Ce que démontrent les statistiques, en revanche, c'est que les aménagements de peine, parce qu'ils conduisent les délinquants vers un autre avenir possible, sont un moyen plus efficace de lutte contre la récidive. Selon une étude publiée en 2005 et menée dans le nord de la France, les délinquants sortants de prison (à profil comparable) sont plus souvent condamnés à nouveau dans les six ans après leur libération que les personnes sanctionnées par une peine hors de la prison : 72 % des sortants de prison sont ainsi recondamnés, contre 68 % pour les condamnés à du sursis avec mise à l'épreuve, ou 65 % pour le sursis simple.
Sur le mode de sortie d'incarcération, c'est tout aussi visible : la récidive est plus importante pour les « sorties sèches », sans aménagement, que pour les libérations conditionnelles. Pourtant, cette dernière reste encore très sous-employée en France. En 2012, elle a concerné moins de 8 000 personnes, contre plus de 40 000 en Allemagne.
Ondine Millot