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Probation vs prison : tout ce que vous n’avez jamais osé demander à Valls et Taubira

LE PLUS. C’est un des points d’achoppement entre Christiane Taubira et Manuel Valls : les peines de probation. La première veut renforcer le recours à ces alternatives à la prison, le second reste dubitatif. Notre contributeur Pierre-Victor Tournier, démographe du champ pénal, spécialiste de ces questions, propose une série de deux articles pour apporter son éclairage.

Si l’on se réfère à la recommandation du Conseil de l’Europe adoptée, sur le sujet le 20 janvier 2010 [1], le terme de probation "décrit l’exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction. Elle consiste en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective".

En résumé, cela se passe hors de la prison, sous la supervision (aide et contrôle) d’agents dit de probation.

La probation existe, en France, depuis plus de 50 ans

La probation, ainsi définie, n’est pas une idée neuve en Europe, pas même en France. Elle existe, dans notre pays, depuis 1958 sous la forme du sursis avec mise à l’épreuve (SME), ou sursis probatoire. Une peine d’emprisonnement est prononcée, un quantum de peine est défini, mais il y a sursis à exécution de cette peine. Des obligations sont imposées au condamné pour une période probatoire. Si le condamné les respecte, il ne subira pas sa peine en détention. Dans le cas contraire, le sursis peut être révoqué et la peine effectivement exécutée en prison.

Non seulement, la probation existe mais la justice pénale y recourt massivement. En 2011, sur les 560.000 condamnations prononcées pour un délit, on compte environ 58.500 condamnations à l’emprisonnement avec sursis total et mise à l’épreuve pour 85.500 peines d’emprisonnement fermes. La supervision des condamnés au SME est assurée par les agents des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SIPP) sous le contrôle du juge de l’application des peines (JAP). Au 1er janvier 2013, les SPIP ont en charge environ 145.000 sursis avec mise à l’épreuve. A la même date, la population sous écrou s’élève à environ 76.800 personnes dont 66.600 sont détenues.

Quels résultats ?

En France, les sortants de prison ont fait l’objet de nombreuses enquêtes démographiques sur la récidive, et ce depuis le milieu des années 1960. Elles tendent toutes à montrer l’intérêt, en matière de prévention de la récidive, d’éviter les sorties sèches grâce à la libération conditionnelle ou aux aménagements de peines sous écrou. Aussi la question des modalités de libération doit-elle être au cœur de la réforme pénale.

En revanche, à ma connaissance, nous ne disposons que d’une seule enquête d’ampleur mesurant le risque de récidive concernant le sursis avec mise à l’épreuve. J’ai réalisé cette enquête de suivi de cohortes, à la fin des années 1990, dans le département du Nord, en coopération avec l’Université de Lille et la direction de l’administration pénitentiaire [1]. Sur une période d’observation de 6 ans, on obtient un taux de recondamnation (toutes nouvelles peines confondues) de 72% pour les sortants de prison (condamnés pour un délit), contre 52% après un sursis avec mise à l’épreuve, soit 20 points de moins.

Si on raisonne non pas toutes choses égales par ailleurs, mais simplement en appliquant aux SME la structure des sortants de prison par nature de l’infraction initiale et le passé judiciaire, on obtient au taux comparatif de 68% pour les SME contre toujours 72% pour les sortants de prison, soit un écart de 4 points, écart certes nettement plus faible mais toujours en faveur du sursis probatoire.

A l’étranger, des formes de probation, différentes de la "probation à la française" (le sursis avec mise à l’épreuve) existent.

Quand, en Angleterre ou au Pays de Galles, en Suède ou au Danemark, on parle de "probation", on pense "sanction autonome après déclaration de culpabilité, sans prononcé d’une peine privative de liberté". Une période de probation est définie, sans aucune référence à la prison, sans cette épée de Damoclès qui existe dans le SME français, des conditions sont imposées au condamné qu’il doit respecter.

Comment la "probation à l’anglaise" m’a inspiré

C’est en m’inspirant de cette "probation à l’anglaise" que j’ai proposé, dès 2006, d’introduire une sanction de cette nature dans notre échelle des peines [3]. A nouvelle forme de probation en France, nouveau nom : en novembre 2012, je l’ai appelée "Contrainte pénale communautaire", ou plus justement, "Contrainte pénale appliquée dans la communauté (CPC)". Ses principes ont été précisés dans l’appel du 1er juin 2012 "Pour en finir avec la primauté de l’emprisonnement : mettre au centre de l’échelle des peines, la contrainte pénale communautaire", appel signé par de nombreuses personnalités.

La proposition de création de la CPC a été reprise dans le rapport de la mission d’information parlementaire, présidée par Dominique Raimbourg, sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale (janvier 2013) :

"Cette contrainte pénale […] serait une peine principale pour certains délits en lieu et place de la courte peine privative de liberté actuellement prévue. Elle serait donc prononcée par la juridiction de jugement. Son contenu serait variable en fonction du délit, de la situation et de la personnalité de la personne jugée : toutes les mesures actuellement susceptibles d’entrer dans l’épreuve d’un sursis ou de l’ajournement du prononcé d’une peine pourraient faire partie de cette contrainte pénale. Les principaux éléments de cette contrainte seraient fixés par la juridiction de jugement, qui déciderait aussi de sa durée – dans le respect d’une durée maximale légale fixée par infraction –, mais le juge de l’application des peines garderait une marge d’appréciation dans leur détermination, laquelle pourrait évoluer en fonction du comportement du condamné. […] la contrainte pénale serait assortie, si nécessaire, d’interdictions, d’obligations, de procédures de contrôle, de la plus minime au placement sous surveillance électronique mobile, d’un traitement (au sens de treatment, c’est-à-dire ne recouvrant pas nécessairement une dimension médicale) tel que des stages de sensibilisation, et de la mise en contact des personnes condamnées avec les institutions, notamment sociales, de droit commun."

Le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a lui aussi retenu cette idée, mais je ne comprends pas l’entêtement des uns et des autres à vouloir appeler cette nouvelle sanction "peine de probation", compte tenu du risque de confusion dans les esprits avec la peine actuelle du sursis probatoire.

Vers une nouvelle forme de probation ?

Je ne sais pas ce que deviendra cette idée dans le projet de loi pénale. Au début du mois de juillet, la Chancellerie semblait renoncer à une révision de l’échelle des peines – pourtant bien nécessaire en matière correctionnelle – renvoyant à plus tard une révision du code pénal basée sur le triptyque que nous proposions "amende, contrainte pénale et emprisonnement". Le ministère semblait aussi avoir choisi, au moins dans un premier temps, d’ajouter la "nouvelle probation" à l’ancienne (le SME). Cela nous semble être une ineptie, le système pénal "couteau suisse" devant être simplifié et non complexifié.

Il semble aussi que, dans le projet, la probation pourrait être prononcée pour tous types de délit. Je suis contre ce choix, la position retenue par le rapport "Raimbourg", étant plus judicieuse : il "estime donc à la fois plus prudent et plus efficace d’expérimenter la mise en œuvre de cette peine en choisissant d’en faire la peine principale (à la place de l’emprisonnement) d’un petit nombre de délits pour lesquels elle apparaît particulièrement pertinente. Une évaluation des résultats obtenus devra être effectuée avant tout élargissement de son champ d’application".

Plus incompréhensible encore, la Chancellerie semblait retenir l’idée suivante : "Lors du prononcé [de la nouvelle probation] devrait être fixée la durée de la peine d’emprisonnement pouvant être exécutée en cas de non-respect des obligations de la probation." Tout cela pour ça ? La différence entre ancienne probation que l’on garderait et nouvelle probation que l’on introduirait serait bien ténue.

Nous sommes vraiment loin des objectifs fixés, dans l’appel du 1er juin 2012, à la contrainte pénale qui devait, avant tout, répondre à l’exigence, fondamentale, d’une échelle de sanctions graduée, lisible par tous, réellement appliquée et dont le prison ne serait plus, à terme, le cœur (en matière de délit). Mais, si l’on a bien compris le débat ne fait que commencer.

Par Pierre-Victor Tournier
Démographe

[1] Conseil de l’Europe, recommandation CM/Rec(2010)1 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation adoptée par le Comité des Ministres le 20 janvier 2010.

[2] Tournier P.V., "Peines d’emprisonnement ou peines alternatives : quelle récidive ?" Actualité juridique. Pénal, Les Editions Dalloz, 2005, n°9, 315-317.

[3] Voir dossier "Quelle nouvelle peine ?", dans l’excellente revue AJ.Pénal, mars 2013, Editions Dalloz.

>> http://leplus.nouvelobs.com/contrib...
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