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« Question discipline, l’administration pénitentiaire ne peut plus faire face »

Assesseure en commission de discipline à la prison d’Agen, Hélène Erlingsen-Creste en tire un livre.

Depuis deux ans, Hélène Erlingsen-Creste, journaliste à la retraite, est assesseure à la commission disciplinaire de la maison d’arrêt d’Agen. Elle en a tiré un livre (1), qui sort ce jeudi.

Trois fois par mois, vous vous asseyez aux côtés d’un surveillant et d’un directeur de prison et débattez des sanctions infligées aux détenus. A quoi cela sert-il ?

J’ai fait 74 commissions de discipline, j’ai vu passer 253 détenus. Bilan : la présence d’une personne extérieure à la prison est une expérience positive pour tous. Les détenus voient que quelqu’un du dehors s’intéresse à leur cas. Je pose des questions sur leur vie, hors jargon pénitentiaire. Je remets sur le tapis des choses qui paraissent évidentes aux personnels. Quant à moi, je voulais voir ce qu’il se passait dans les prisons républicaines.

Décider du sort disciplinaire d’un détenu est une grosse responsabilité, non ?

Oui, surtout que l’administration ne forme pas ses assesseurs citoyens ! Nous avons le pouvoir de priver un détenu de parloir - donc de voir son enfant - ou de travail, et donc de cantine [achat des objets de la vie quotidienne, ndlr]. Ecoper d’une sanction disciplinaire peut, de plus, entraîner une suppression de crédits de réductions de peines.

Qui sont ces détenus que vous voyez ?

Patrice, qui avait insulté un surveillant (quinze jours de QG [quartier disciplinaire, ndlr] dont huit avec sursis). Khaled, rentré en retard de permission avec un éthylotest positif (avertissement). Jean-Paul, qui a frappé un codétenu (vingt jours de QG dont treize avec sursis). Rémy, qui a refusé d’être fouillé, Hasna, soupçonnée d’être à la tête d’un trafic de stup dans la prison… Mais la commission est surtout débordée par les téléphones : en 2012, 181 portables ont été trouvés dans la maison d’arrêt. Il y a plus de portables au mètre carré dans la prison d’Agen que dans la ville tout entière ! Il faut les autoriser en détention : ça créera un lien entre les détenus et l’extérieur et ça évitera aux commissions de discipline de passer leur temps à juger et rejuger les mêmes personnes pour les mêmes faits.

Vous parlez aussi du « déperchage », qui remplit les commissions de discipline…

J’ai découvert le fonctionnement de la prison par le biais du déperchage. La maison d’arrêt d’Agen est en plein centre-ville. Je suis détenue, je crie : « Demain 16 h ! », et de l’autre côté du mur, dans la rue, un ami me répond : « OK ! » Le lendemain à 16 h, mon paquet de cigarettes atterrit sur les filets installés au-dessus des cours de promenade. Il n’y a plus qu’à le « dépercher » en trouant le grillage. On trouve des kebabs, de l’alcool… un vrai supermarché !

On a l’impression que la prison est un monde discipliné mais aussi arbitraire…

Arbitraire, non. C’est un monde, théoriquement, très réglementé. Il y a les fautes de premier degré, les plus graves : frapper un agent, tenter de s’évader… qui peuvent entraîner jusqu’à trente jours de QD et de deuxième ou troisième degrés. Il y a les sanctions générales (avertissement ou QD) et spécifiques (suppression d’un parloir, déclassement). Mais sur le terrain, les surveillants font avec les moyens du bord - j’ai d’ailleurs été marquée par leur humanité. Le règlement intérieur est distribué à chaque détenu, mais entre ceux qui sont analphabètes et ceux qui ne comprennent pas le français… Ça provoque parfois des dialogues de sourds : deux détenues ne savaient pas ce que voulait dire « sursis ». On leur explique qu’en cas de récidive dans les six mois, elles devront effectuer leur peine. L’une a lancé : « On a six mois pour recommencer ? », et l’autre : « Et si on ne fait rien, qu’est-ce qu’il va nous arriver ? »
Vous voyez régulièrement passer François, incarcéré depuis deux ans, qui ne veut pas quitter le mitard. Son état se dégrade, il se cache le visage avec sa main« parce qu’[il a] des trous dans la bouche », explique-t-il…

Devant certains « zombies » sous camisole chimique, on ne sait parfois plus comment expliquer ce qu’on leur reproche, ce qu’ils risquent. Ils ne comprennent pas les documents qu’on leur fait signer. Je m’interroge : ils ne comprennent visiblement pas la sanction qu’on leur inflige, mais ont-ils même compris celle qui les a amenés en prison ?

L’administration s’en sort-elle ?

Elle ne contrôle plus rien. Elle gère le quotidien, l’urgence. Les détenus sont logés, nourris, ils sont bien privés de liberté. Mais au niveau de la discipline, l’administration ne peut plus faire face, à cause de la surpopulation : les surveillants sont agressés, les détenus se battent, un islam radical se développe…

Vous citez un avocat qui dit de son client : « Il s’est fait virer de Toulouse, s’il continue, il va se faire virer d’Agen ! »

Quand un détenu est insupportable, on dit qu’il y a « encombrement » dans une maison d’arrêt, on le transfère dans une autre et celle-ci n’est pas dupe.

Malgré tout, la commission de discipline abrite parfois de drôles de moments…

Des minisketchs ! Touchants, d’ailleurs. Je pense à Jean-Michel, dans la cellule duquel on avait retrouvé une boîte d’allumettes contenant du haschisch. Il disait l’avoir trouvée dans la cour et ramassée sans l’ouvrir. Devant nous il jouait l’étonné : « Ça alors ! Je l’avais oubliée cette boîte ! Du haschich, vous dites ? J’en crois pas mes yeux ! »

(1) « L’abîme carcéral, une femme au sein des commissions disciplinaires », éd. Max Milo.

Recueilli par Sonya Faure

>> http://www.liberation.fr/societe/20...
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