Réforme pénale de Christiane Taubira : beaucoup de bruit pour rien ?

LE PLUS. Christiane Taubira veut un examen au Parlement "dès que possible" de la réforme pénale. La semaine dernière, Jean-Marc Ayrault a finalement rendu les arbitrages du gouvernement sur ce dossier qui a opposé la Garde Sceaux et le ministre de l'Intérieur tout l'été. Les propositions sont-elles à la hauteur des promesses ? Pas pour Anne-Sophie Laguens, avocate au barreau de Paris. La réforme pénale était très attendue. Forte de nouvelles inspirations philosophiques et sociologiques, elle annonce un arsenal plus étendu visant notamment à désengorger les prisons. Au terme d'une opposition entre le ministère de l'Intérieur et la Chancellerie, des concessions auraient été acceptées vers une réforme plus "light". Pour autant, les professionnels ne semblent pas particulièrement enthousiastes, tandis que les opposants au projet dénoncent un texte trop laxiste. Aux sentinelles de la répression, nul n'est besoin de paniquer : dans les chambres correctionnelles comme dans l'après-condamnation, peu de changements fracassants. Le texte définitif devrait être présenté par la Chancellerie cette semaine. La consécration de principes existants Individualisation de la peine, réinsertion du condamné, motivation des décisions, tout ceci avait déjà été évoqué par Christiane Taubira dans ses interventions ou dans sa circulaire d'orientation pénale de 2012. Ces principes reviennent au premier plan avec le projet de réforme pénale. Sauf que, ils ont toujours été la source (plus ou moins assumée) des politiques pénales. Ce, pour la bonne et simple raison qu'ils sont au fondement du droit pénal : on les retrouve chez les penseurs du XVIIIe siècle (Cesare Beccaria, Jeremy Bentham), dans les manuels de droit pénal, dans les codes, et dans les jurisprudences. Sur ce point, la loi ne viendra donc que réaffirmer ce que les juridictions sont déjà censées faire. Rien de neuf donc, sous le soleil de la place Vendôme, si ce n'est un peu plus de papier. La suppression des peines planchers Cette mesure était sollicitée par la profession. La suppression des peines planchers (renforcées par une loi de 2011) est heureuse, car son principe s'opposait à la personnalisation des peines. Cependant, elle ne révolutionnera pas complètement le quotidien des chambres pénales : le juge avait la possibilité d'écarter l'application de la peine plancher en invoquant des "garanties d'insertion ou de réinsertion", et des "garanties exceptionnelles" en cas de nouvelle récidive. De fait, les procureurs, s'ils la mentionnent systématiquement dans leurs réquisitions, ne sollicitent pas à chaque espèce l'application de la "peine plancher", ou ne s'attardent pas dessus, laissant entendre en demi-teinte qu'une telle condamnation serait excessive au regard des faits. Quant aux magistrats du siège, si la récidive motive souvent une peine aggravée, voire du ferme en lieu et place d'un sursis, elle n'entraîne que relativement rarement l'application pure, simple et sévère de la peine plancher. Enfin, il serait question de réaffirmer l'ajournement de la peine, disposition qui existe déjà selon le droit positif, mais qui semble encouragée par le Garde des Sceaux (possibilité pour le juge de reconnaître, lors d'une première audience, la culpabilité du prévenu, mais de ne fixer la peine que lors d'une audience ultérieure). La contrainte pénale Inspirée par le démographe Pierre-Victor Tournier, elle se différencie du sursis mise à l'épreuve en ce qu'elle se détache de la peine de prison. Le sursis mise à l'épreuve, qui existe déjà , c'est la possibilité pour le tribunal, lorsqu'il prononce la peine, d'assortir le sursis d'obligations : s'il considère que le délinquant ne mérite pas une peine de prison ferme, mais qu'il ne veut pas pour autant le laisser repartir avec un sursis simple sur la tête (peine de prison qui n'est exécutée que si le délinquant commet une nouvelle infraction dans un délai de cinq ans), il prononce un sursis mise à l'épreuve. Pendant un an ou deux, il devra se faire suivre, soigner, dédommager la victime ou trouver un travail, selon les cas. En cas de manquement, il retourne à la case prison. La contrainte pénale est une peine à part entière. Les obligations seront similaires à celles du sursis mise à l'épreuve, mais la différence est importante, en ce qu'en cas de non-respect, le délinquant ne retournera pas automatiquement en prison. Il s'agit d'une alternative à la peine d'emprisonnement, que ce dernier soit ferme ou avec sursis. La contrainte ne concernera que les délits passibles de peine inférieures ou égales à cinq ans d'emprisonnement. L'objectif annoncé : désengorger les prisons. Pour autant, des condamnés à la contrainte pénale n'auraient pas forcément été condamnés à de la prison ferme avant application de la loi. En revanche, ils auraient pu encourir le risque, en cas de non respect du sursis mise à l'épreuve, d'être incarcérés de façon quasi-automatique, risque qu'ils n'encourront plus avec la contrainte La vrai clé du changement ne se fera donc pas dans cet arsenal de peine élargi (puisqu'en pratique, en sortant du tribunal, le détenu se verra avoir des obligations similaires à ce qui existait déjà ), mais dans les moyens qui seront donnés aux SPIP (services pénitentiaires d'insertion et de probation) et aux juges d'application des peines pour mettre en œuvre ces suivis. La sortie de prison Il est question de mieux suivre les condamnés en fin de peine, aux fins d'éviter des les laisser "partir dans la nature", ce sans aucun suivi. À ce jour, les détenus bénéficient de réductions de peine automatiques (des crédits acquis lorsqu'ils entrent en prison), ou personnalisées (liées à leur comportement pendant leur incarcération). La loi créera un examen automatique de la peine, au bout d'un certain temps en prison, ce aux fins d'éviter les "sorties sèches". Là encore, les SPIP suivent déjà les détenus aux fins de préparer leur sortie. Cependant, cette disposition permettra peut-être une prise de conscience accrue par le condamné du travail d'insertion qu'il doit effectuer, aux fins de préparer sa sortie, et donnera aux juges d'application des peines des pouvoirs étendus pour un suivi renforcé. Pendant ce temps, oubliée la rétention de sûreté, qui avait fait s'élever contre elle les professions judiciaires en 2008. Alors demain, en correctionnelle, il se passera quoi ? Peu ou prou ce qu'il se passait déjà . Les tribunaux prendront en compte (ou tout du moins seront censés prendre en compte) la personnalité des délinquants et la gravité de l'infraction. Quant aux délinquants, les grilles des palais de justice passées, ils iront justifier, pendant quelques mois, de leurs démarches pour trouver un travail, et de leur suivi. Pendant ce temps, services d'insertion, barreaux et syndicats de la magistrature continueront de réclamer, avant toute réforme, toujours la même chose : des moyens. La promesse de nouvelles places en prison est une bonne nouvelle, et un début. Les professionnels du droit se sont toujours adaptés, de gré ou de force, aux multiples réformes pénales, plus ou moins répressives selon les gouvernements successifs, ce, dans un seul objectif : s'adapter aux réalités humaines et démontrer une certaine constance. Dura lex, sed humanus judex. Propos recueillis par Mélissa Bounoua. Par Anne-Sophie Laguens Avocate au Barreau de Paris







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