Réforme pénale : la contrainte pénale, pari contre la récidive
La peine de probation a essuyé bien des orages, mais est arrivée à peu près à bon port. Le Conseil d'Etat a globalement validé le projet de réforme pénale de Christiane Taubira, et la ministre de la justice a présenté, mercredi 9 octobre, la nouvelle peine de "contrainte pénale" en conseil des ministres – l'Assemblée nationale devrait examiner le texte juste après les élections municipales, à partir du 8 avril.
Le projet de loi reste en deçà des espérances soulevées en février par la conférence de consensus sur la récidive, il a surtout été en partie vidé de son contenu lors des arbitrages de cet été – le ministre de l'intérieur avait même été surpris d'obtenir autant de concessions. Il reste un texte un peu bancal faute d'aller au bout de sa logique, avec néanmoins quelques avancées fortes. Même le premier ministre s'est mis à y croire : Jean-Marc Ayrault a annoncé la création de mille postes supplémentaires à partir de 2015, mercredi sur Europe 1, outre le recrutement de 300 conseillers de probation en 2014.
L'ambition du texte n'est pas de vider les prisons, mais bien de prévenir la récidive. Or 59 % des détenus sont de nouveau condamnés dans les cinq ans, et les plus récidivistes sont les plus petits délinquants : la prison ne résout rien – au contraire. C'est à la foule des petits délinquants que s'attaque le texte, et pas aux criminels ou aux violeurs d'enfants. Tenter de réinsérer ces petits délinquants, souvent condamnés à de courtes peines, devrait cependant réduire le nombre de détenus : de 2 600 à 6 600 personnes chaque année (sur 67 088 personnes incarcérées au 1er septembre), après trois ans d'application de la loi. La contrainte pénale
La contrainte pénale est une nouvelle peine, possible lorsqu'un délit est puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement, et lorsque "la personnalité de son auteur et les circonstances de la commission des faits justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et renforcé". Le condamné est soumis, pour une période de six mois à cinq ans, à une série d'obligations et de contrôles, fixés par un juge d'application des peines, après une évaluation fine de la situation par un conseiller d'insertion et de probation.
Ce sont bien les petits délinquants qui sont visés : les conduites en état d'ivresse (deux ans de prison encourus), mais pas s'il y a eu mort d'homme (sept ans encourus), les vols simples (trois ans) mais pas les cambriolages ni les vols avec violence (sept ans), les agressions sur majeur (cinq ans) mais pas sur personne vulnérable (sept ans).
Entre 8 000 et 20 000 contraintes pénales devraient être prononcées tous les ans, mais sans impact sérieux sur la population carcérale : beaucoup sont aujourd'hui condamnés à un sursis mise à l'épreuve (120 000 par an) et purgent déjà leur peine hors de prison. Trois mille années de prison devraient être évitées, ce qui représenterait, après un calcul discutable, 1 700 détenus de moins tous les ans.
La peine de probation, revue tous les ans par le juge d'application des peines, se voulait entièrement détachée de l'emprisonnement. L'idée de départ était de créer trois types de sanctions : les peines patrimoniales (les amendes), la peine de probation (la contrainte pénale) et l'emprisonnement. Ce n'est pas tout à fait le cas. La contrainte pénale se rajoute aux nombreux dispositifs existants sans les absorber, et si le condamné ne respecte pas ses obligations, il risque bel et bien la prison. La chancellerie estimait que c'était au juge d'application des peines de fixer la peine d'emprisonnement, le Conseil d'Etat a estimé que la décision devait revenir à un autre magistrat – un autre juge d'application des peines ou de la liberté et de la détention. Les récidivistes
C'est sur les récidivistes, la population à la fois la plus fragile socialement et la plus menaçante pour l'ordre social, que se porte l'effort de réinsertion. Le projet abolit ainsi les peines planchers, qui engendrent chaque année près de 4 000 années de prison, soit grossièrement 2 300 détenus de plus, et les condamne à des peines plus longues : la durée moyenne de détention est passée depuis le vote de la loi en 2007 de 8,2 mois à 11,3 mois. Surtout, la révocation des sursis ne sera plus automatique, mais devra être réclamée par le tribunal – les juges aujourd'hui ne savent pas toujours que le prévenu est sous la menace d'une cascade de sursis, et le moindre nouveau petit délit entraîne des années de prison pour des délits déjà anciens.
Près de 120 000 sursis simples sont ordonnés tous les ans, 17 % d'entre eux sont révoqués, ce qui correspond à environ 6 000 années d'emprisonnement, qui pourraient avec la nouvelle loi être divisées par deux. Environ 1 700 personnes éviteraient ainsi la prison. La libération sous contrainte
Le projet prévoyait à l'origine que pour les peines de moins cinq ans, le juge d'application des peines, sauf avis contraire, prononce d'office une libération conditionnelle aux deux tiers de la peine – toutes les études prouvent que la libération sous condition est essentielle pour la réinsertion, or les "sorties sèches" touchent aujourd'hui 80 % des condamnés.
Manuel Valls, le ministre de l'intérieur, a contesté cette disposition, et le juge n'est finalement tenu qu'à un examen de la situation du condamné à deux tiers de la peine. De 30 % à 60 % des détenus pourraient bénéficier de cette libération sous contrainte, soit entre 2 200 et 6 200 personnes. Les reculs
Une disposition ruine en partie ces efforts : l'abaissement des seuils autorisés pour les aménagements de peine. La précédente majorité avait à la fois inventé les peines planchers, pour incarcérer davantage, et permis au juge d'aménager comme il le souhaitait les peines de moins de deux ans (et de moins d'un an pour les récidivistes) pour ne pas encombrer les prisons. Manuel Valls s'est saisi de cette contradiction pour obtenir que les seuils soient abaissés à un an pour les primo-condamnés, et à six mois pour les récidivistes.
Les récidivistes iront donc de nouveau plus que les autres en prison, elle-même facteur de récidive. Autour de 3 600 personnes supplémentaires devraient être ainsi incarcérées tous les ans. La garde des sceaux y était évidemment hostile, elle compte sur le Parlement pour supprimer une disposition parfaitement contraire à l'esprit du texte.
Le projet de loi brille enfin par ses absences, le tribunal correctionnel pour mineurs, contrairement aux engagements, n'est pas supprimé, pas plus que la rétention de sûreté, qui permet de garder indéfiniment en rétention un condamné supposé dangereux lorsqu'il a fini de purger sa peine.
Franck Johannès
Journaliste au Monde Les récidivistes sont surtout les petits délinquants
59 % des détenus sont à nouveau condamnés dans les cinq ans qui suivent leur libération, ont relevé à l'été 2011 les démographes Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda, dans les Cahiers d'études pénitentiaires. La récidive n'est pas la même selon la nature de l'infraction : les voleurs sont 74 % à être à nouveau condamnés cinq ans plus tard, les violeurs d'enfants 19 %, et encore, pas pour ce crime : ils ne sont que 0,6 % à être condamnés à de la réclusion criminelle. Les récidivistes sont ainsi les condamnés pour les délits les moins graves. Les populations à risque restent les mineurs, dont 78 % ont de nouveaux ennuis dans les cinq ans, contre 29 % pour les plus de 50 ans. Enfin, les risques de nouvelle condamnation pour les libérés sans aménagement de peine sont 1,6 fois plus élevés que pour ceux sortis en libération conditionnelle.