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Une avancée en pointillé pour le droit du travail en prison

Une entreprise reconnue "employeur" d’une détenue, des indemnités versées pour son "licenciement" en prison : le droit du travail se fraie un chemin en détention grâce à une décision originale des prud’hommes dont la portée reste à confirmer.

Pour les avocats de Marilyn Moureau, une femme de 36 ans ayant travaillé pour la plate-forme téléphonique MKT Societal lorsqu’elle était en détention provisoire, c’est "une victoire" et "un grand jour pour tous les détenus de France".

Le 1er février, Mes Fabien Arakélian et Julien Riffaud avaient plaidé devant le Conseil des prud’hommes de Paris pour que leur cliente puisse bénéficier, au titre de son travail accompli en prison, des mêmes droits que n’importe quel salarié.

Mme Moureau contestait les conditions dans lesquelles s’était interrompue sa collaboration avec la plate-forme téléphonique : elle avait commencé à travailler pour MKT Societal à l’été 2010 à la maison d’arrêt de Versailles, en avril 2011, sanctionnée pour avoir passé des appels personnels pendant son temps de travail, elle avait été "déclassée", suspendue de ses fonctions sans compensation.

Vendredi, les prud’hommes de Paris ont considéré que cette procédure devait être assimilée à un licenciement et lui ouvrir les droits correspondants : Mme Moreau a obtenu le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis (521,03 euros), des congés payés afférents (52,10 euros), ainsi qu’une indemnité pour "inobservation de la procédure de licenciement" (521,03 euros).

Elle obtient également plus de 3.000 euros de dommages et intérêts, 2.358 euros de rappel de salaire et les congés payés correspondants.

C’est ce qu’avaient demandé ses avocats à l’audience, même s’ils n’ont pas obtenu de dommages et intérêts pour travail dissimulé et pour discrimination, comme ils le réclamaient en supplément.

"Débat de société"

Pour enfoncer le clou, les prud’hommes déclarent dans leur décision que MKT societal devait être considéré "employeur dans des conditions particulières" de la détenue alors même qu’il n’existe sur le papier pas de lien juridique entre l’entreprise et le détenu uniquement dépendant de l’administration pénitentiaire.

Il n’existe pas non plus de contrat de travail en détention mais un "acte d’engagement" entre le détenu et la prison qui fixe le cadre de sa mission.

Le Conseil des prud’hommes a-t-il ignoré ces règles du travail en détention pour rendre une décision à coloration morale ? La juridiction a-t-elle trouvé dans la législation existante, nationale ou internationale, motif à considérer que le statut des prisonniers travailleurs était assimilable à celui des salariés ?

Impossible de le dire pour l’instant car les motivations des conseillers n’ont pas encore été transmises aux parties.

Directeur de recherche en droit du travail et auteur d’un ouvrage sur le travail pénitentiaire, Philippe Auvergnon note que ce n’est pas la première fois que des prud’hommes forcent l’interprétation des règles du travail carcéral pour accorder à un détenu des droits salariaux.

Une décision semblable s’était soldée par un rappel à l’ordre de la Cour de cassation qui, en 1996, avait considéré que les prud’hommes étaient incompétents pour trancher un litige ne reposant pas sur un contrat de travail.

Un sort qui guette la décision des prud’hommes si elle fait l’objet d’un appel puis d’un recours en cassation, estime-t-il.

Pour Déborah David, avocate en droit social chez JeantetAssociés, la décision est également "contestable d’un point de vue juridique" car "le code de procédure pénal est très clair sur le fait que le droit du travail ne s’applique pas en prison", mais "d’un point de vue moral, elle a le mérite d’engager un débat de société très utile".

>> http://www.liberation.fr/depeches/2...
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