Une détenue devant les prud’hommes pour défendre ses droits

Son avocat veut en faire exemple, mais préfère ne pas divulguer le nom de sa cliente. Celle-ci, en détention provisoire à la maison d'arrêt de Versailles (Yvelines) depuis le 12 juillet 2010, doit être extraite de sa cellule, mardi 7 février, pour défendre ses droits devant le conseil de prud'hommes de Paris. Au centre de cette audience de conciliation, un "licenciement abusif". C'est ce que la jeune femme reproche à son ancien employeur, MKT Societal, pour lequel elle a travaillé entre août 2010 et avril 2011 au sein de la maison d'arrêt. Employée comme télé-opératrice, Karine a été "déclassée" après avoir "utilisé les ressources informatiques" de la société pour passer un coup de téléphone à sa sœur. Une infraction aux règles de l'atelier. Ce dossier soulève une nouvelle fois le problème du statut de celles et ceux qui travaillent en détention. Sur ce point, l'article 717-3 du code de procédure pénale est clair : "Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail". Selon la loi pénitentiaire votée en 2009, les détenus signent un "contrat d'engagement" avec l'administration pénitentiaire, qui octroie de son côté des concessions à des sociétés privées. Ces règles dérogent donc au droit commun. Les salaires aussi sont différents. A titre d'exemple, le seuil minimum de rémunération (SMR) pénitentiaire fixé par l'administration était de 4,03 euros brut de l'heure en 2011, lui-même calculé sur la base du smic 2010 à 8,86 euros brut de l'heure. "Est-ce que c'est bien ou pas ? Ce n'est pas à nous de juger, explique l'avocate de MKT Societal, Martine Lombard. On est là pour faire appliquer le droit et on soulèvera l'incompétence du conseil [des prud'hommes]." Mais pour les avocats de Karine, Fabien Arakélian et Julien Riffaud, il s'agit d'un "licenciement sans cause réelle et sérieuse". Et ils entendent bien le plaider puisque, comme ils l'expliquent, leur cliente était rémunérée et travaillait avec un lien de subordination au profit d'autrui. "Les trois critères qui font qu'un contrat de travail de droit privé n'a pas besoin d'être écrit", assure Me Riffaud. Dans une déclaration à l'AFP, la patronne de MKT Societal, Laura Geradon de Vera, a assuré que la détenue "n'était en aucun cas salariée de MKT Societal, car elle était salariée de l'administration pénitentiaire" et précisait que les détenues travaillant comme télé-opératrices étaient payées "20 % au dessus du smic en milieu carcéral". Le conseil des prud'hommes a de fortes chances de se rallier à cette argumentation. "Est-ce pour autant qu'il ne faut rien faire ?", interrogent les deux avocats de la plaignante, expliquant, preuve à l'appui, que la société MKT Societal a établi une attestation d'emploi à l'attention de leur cliente. DU CENTRE OFF-SHORE EN TUNISIE À LA PRODUCTION EN PRISON Le 22 février, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, doit rendre son rapport annuel. Un chapitre sera consacré à la rémunération du travail en détention. Mais depuis longtemps déjà , l'Observatoire international des prisons (OIP) comme d'autres associations de défense des personnes incarcérées, dénonce une "zone de non-droit du travail" et des activités peu qualifiantes en détention. "Pas de smic, pas d'indemnités chômage, maladie ou accident du travail, pas de congés payés ni de droit syndical", écrit l'organisation, qui s'inquiète que cette situation crée un "eldorado économique" pour les entreprises privées. Dans la présentation de son activité, MKT Societal se défend pourtant de tout opportunisme économique et assure par la voix de sa directrice que le projet est né de la volonté de "donner une dimension sociale" à son activité en participant à la réinsertion des détenues. Sur le site Internet de l'entreprise, il est toutefois précisé que "la production au sein des établissements pénitenciaires apporte une solution très concurrentielle par rapport aux deux autres modes de production traditionnels" (centres d'appels en France et à l'étranger). "Sous couvert d'insertion sociale, on exploite les détenus avec la bénédiction de l'Etat", s'indigne Me Arakélian, qui rappelle qu'avant d'installer des plateformes téléphoniques en prison, MKT travaillait notamment en Tunisie (Mme Geradon de Vera assure pour sa part que les centres d'appels en détention lui reviennent plus cher qu'en Tunisie). "Le travail en prison est en fait une délocalisation à domicile", notait ainsi le journaliste Gonzague Rambaud dans un livre sur le business carcéral paru en 2010. En octobre 2010, la société MKT Societal était épinglée par Jean-Marie Delarue, qui dans un rapport de visite à la maison d'arrêt de Versailles expliquait que beaucoup de détenues se plaignaient alors des "cadences de travail et des pressions qui s'exercent sur elles pour tenir le bon niveau de travail". Les contrôleurs notaient en outre que les horaires étaient variables et que les taux horaires de rémunération "ne correspondaient en rien ni aux taux horaires affichés ni au salaire minimum de référence". Mme Gera de Veradon assure au Monde.fr que "la réalité est qu'on a toujours payé les détenues conformément aux tarifs affichés" et explique que "le constat des variations de salaires fait par M. Delarue est dû à un bug du logiciel de l'administration pénitentiaire qui édite les bulletins de paie". Quant aux cadences, elle explique qu'"il n'y a pas de pressions, parce qu'il n'y a pas d'objectifs", et précise que si MKT Societal exploitait les détenus comme certains le disent, la société n'aurait pas été en finale du concours de l'entreprenariat social du Boston Consulting group (un cabinet de conseil en stratégie). "Pour nous, cette histoire est une catastrophe. Et je peux vous assurer que toutes les filles qui travaillent à Versailles m'ont adressé des lettres de soutien", ajoute-t-elle. De son côté, la jeune détenue a repris le travail pour une autre entreprise qui, elle aussi, dispose d'une concession à la maison d'arrêt. Simon Piel







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